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En Bolivie, l’émancipation des femmes passe par le catch

Alors qu’elles étaient, il n’y a pas si longtemps encore, racisées, discriminées et exclues, les « cholitas », ces femmes indigènes boliviennes en costume traditionnel, sont en train de devenir le symbole de femmes en pleine émancipation. C’est en partie grâce aux catcheuses qui envahissent les rings et mettent en scène de façon drôle et... percutante la lutte pour le respect. Un reportage de Loïc de La Mornais, Christophe Kenck, Romain Migus et Michel Leray pour « Envoyé spécial ».

  • « Les Madones du ring ».
  • © DR

À une époque où le catch était, en France, assez mal vu, et même méprisé (trop prolétaire, trop vulgaire, trop faux), Roland Barthes lui consacra le premier chapitre de ses mythiques Mythologies (1957) et rendit justice à cet art de l’exagération. Le catch n’est pas un sport, encore moins un sport truqué, c’est un spectacle entre le théâtre antique, le cirque, la commedia dell’arte et le guignol. Là où la boxe propose de départager la valeur des adversaires, là où le judo cultive la retenue et la fluidité, le catch met en scène des passions en en faisant des tonnes : des justiciers affrontent des salauds, des vicieux, profitant de l’inattention de l’arbitre, frappent un adversaire à terre (le public hurle et réclame vengeance), on s’étrangle, on s’envoie dans les cordes, on se tord les bras, on souffre, on suffoque, chaque beigne devrait assommer un bœuf et quand on s’écrase au sol, c’est dans un grand fracas. Bref, c’est énorme et c’est drôle.

Pas étonnant que l’Amérique latine, avec son goût de l’emphase, du kitsch et des masques, raffole du catch (pour certains, c’est d’ailleurs là qu’il serait né ; pour d’autres, c’est au Japon ou en banlieue parisienne). Depuis l’âge d’or des films de série B mexicains, dans les années 60 – où Blue Demon et Santo, lutteurs masqués,  traquaient le crime, voyageaient dans le temps et affrontaient Dracula ou des momies –, sa popularité ne faiblit pas. Dernière sensation en date : l’apparition, il y a une vingtaine d’années en Bolivie, de femmes catcheuses en costume traditionnel, robe à jupons superposés (pollera), tresses et chapeau melon (bombini) sur la tête : les cholitas luchadoras. À El Alto, ancienne banlieue de La Paz, devenue la deuxième ville du pays, Rosita la Maudite, Nelly la Douce, Betty Attrape-moi-si-tu-peux et quelques autres sont expertes en acrobaties, tirage de tresses, baffes, « tourniquet infernal » et autres clés de bras. Sur un ring, ce sont des harpies qui s’écrasent de tout leur poids sur leur adversaire ou l’envoient valser dans le public. Il n’est pas rare que l’une d’elles termine son vol plané dans les bras d’un spectateur hilare. Ou qu’un arbitre pas très réglo se fasse lui-même assommer. Dans le civil, si on peut dire, Elisabeth la Voleuse-de-cœurs, alias Veronica, est une débonnaire mère de famille, fonctionnaire (les combats lui permettent de doubler son salaire), qui adore son rôle de super méchante. Mais, à travers le spectacle, « on montre aux femmes comment se défendre. Quand un mec veut te frapper, mets-lui un uppercut sous le menton ! »

Car, ce que raconte cet engouement pour le catch féminin, ce sont les mutations sociales de la Bolivie d’aujourd’hui. Il y a vingt ans, les cholitas, ces femmes issues du peuple autochtone aymara étaient considérées comme des bouseuses incultes et stupides. Moquées, méprisées, en butte au racisme et aux violences sexistes, elles étaient exclues des emplois salariés et de pans entiers de la société. Entre-temps, les Boliviens ont élu Evo Morales, le premier président d’origine aymara, qui œuvra pour changer l’image et la place des indigènes dans la société. Les cholitas sont en passe d’incarner désormais des femmes boliviennes modernes qui s’émancipent tout en affirmant fièrement leur culture. Et qui sont bien décidées à ne plus s’en laisser conter. Elles ont trouvé dans ces femmes catcheuses des ambassadrices aux arguments plutôt convaincants…

« Les Madones du ring », c’est à voir sur…

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Rédigé par Christophe Kechroud-Gibassier
Publié le 24 juin 2025