Un écran bombé dans une gaine plastique d’un brun douteux, un clavier aux touches épaisses et un biiiip de connexion suraigu : à l’heure des smartphones, des téléviseurs connectés, du streaming et des messageries instantanées, difficile aujourd’hui de se représenter ce qu’a été le Minitel, fierté technologique française des années 1980-1990 ringardisée par la révolution Internet des années 2000.
Car, oui, il faut s’en souvenir : le Minitel a trôné pendant quarante ans aux côtés du téléphone fixe de (presque) chaque foyer français (jusqu’à 9 millions d’utilisateurs en 2000), permettant en quelques (patients) clics de consulter l’annuaire, de réserver billets de train ou nuits d’hôtel (jusqu’à 26 000 services disponibles, via les fameux « 3615 »), mais aussi de dialoguer à distance et en toute discrétion (le non moins fameux « Minitel Rose »).
Culture Pop, l’émission rétro-geek de l’INA, propose une joyeuse compilation de reportages pour (re)vivre les années Minitel, de ses prémices fin 1970 à sa disparition dans les poubelles de l’histoire en 2012 (les terminaux ont littéralement été envoyés à la décharge).
Un jour peut-être on ne regardera plus d’un air béat les Japonais et les Américains avec leurs gadgets, qui consistent à relier un téléphone à un téléviseur pour donner des informations. Bientôt, nous aurons ça aussi chez nous : c’est la télématique.
Roger Gicquel - Journal télévisé, 1978
Traverser ainsi l’histoire du Minitel, c’est (re)découvrir une certaine idée de notre rapport à la communication et aux écrans (rapport balbutiant, entre curiosité et circonspection), c’est se (re)plonger dans une époque (qui ressemble maintenant à une dystopie alternative) où la France ouvrait la voie de la révolution numérique et où la logique privée et expansionniste des Gafa n’avait pas pris le dessus sur les notions de service public (et, il faut le dire, un certain technocratisme d’État).
Réseau social avant l’heure, première base de données centralisée accessible au grand nombre, l’appareil (on disait alors le « terminal »), conçu et déployé gratuitement sur l’ensemble du territoire par le ministère des Postes et Télécommunications, a initié et converti la France entière aux bienfaits de la communication numérique et des services en ligne (on disait alors la « télématique »).
« La boulangère d’Aubervilliers sait parfaitement interroger sa banque par Minitel, résumait ainsi le président Jacques Chirac en 1997, alors que la boulangère de New York en est incapable. » Fierté française, donc, mais qui ne va pas sans un certain aveuglement : d’abord parce que le Minitel n’a jamais rencontré le moindre succès hors de l’Hexagone ; ensuite, parce que, s’il a préparé le terrain aux usages numériques, il a aussi longtemps freiné (pour des raisons financières, technologiques, politiques) le déploiement d’Internet en France, amorçant puis accentuant le retard numérique du pays.
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