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Signoret : plan large

Refusant d’être une star, elle a été bien plus que cela. Une immense actrice, une militante, une conscience morale, un modèle. Dans « Simone Signoret, figure libre », documentaire nourri d’archives, d’interviews et d’extraits de films, Michèle Dominici fait le portrait d’une femme admirable.

    Son entrée dans le monde du cinéma, Simone Kaminker la doit à la fréquentation du Café de Flore pendant l’Occupation. Elle est belle, elle a 20 ans et une sacrée allure, on lui propose quelques figurations. Puis, le réalisateur Yves Allégret la remarque, la fait tourner, lui fait un enfant, l’épouse… Les rôles s’enchaînent. Mais le cinéma d’après-guerre, encore bien phallocrate (à l’image de la société : les Françaises ont voté pour la première fois le 29 avril 1945 !) et tout rempli d’hommes affolés par des femmes désirables mais malfaisantes, n’a qu’un registre assez limité à offrir à son genre de beauté gouailleuse. Elle dira plus tard : « Quand j’étais jeune et belle, j’étais abonnée aux garces ou aux putains. »

    Durant l’été 49, Simone Signoret rencontre Ivo Livi, alias Yves Montand, chanteur. Coup de foudre réciproque. Elle envoie tout promener, mari, famille, plan de carrière pour le suivre. Ils ont 28 ans, il est fils d’ouvriers, elle est de gauche. Comme leurs copains (les frères Prévert, Marcel Mouloudji...), ils sont proches du Parti communiste français.

    De cette époque date sans doute la réputation d’actrice exigeante. « Une façon polie de dire que je suis une emmerdeuse », dira-t-elle. La comédienne de Casque d’or (Jacques Becker, 1952) éblouit, mais la femme engagée agace. Les rôles finissent par s’espacer au cours des années 50. Le cinéma lui préfère des femmes plus jeunes, plus fraîches. Simone relève le défi de jouer – en anglais – une femme mûre (elle a 37 ans !) amoureuse d’un homme plus jeune. Les Chemins de la haute ville (Jack Clayton, 1959) sont un triomphe, qui lui vaut un British Academy Award et le prix d’interprétation à Cannes. L’année suivante, c’est le sacre : un Oscar à Hollywood ! Un sacre, pourtant, qui va avoir un goût amer...

    Tandis que Montand reste aux États-Unis pour le tournage du Milliardaire, avec Marilyn Monroe, Simone file à Rome donner la réplique à Marcello Mastroianni. C’est là qu’elle apprend par les journaux l’idylle de Montand et de sa partenaire. La presse ne la lâche pas, comme si c’était à elle de s’en expliquer. C’est une humiliation mondiale. À laquelle elle fait face avec une dignité impeccable. Bravache, elle affirme à une journaliste qu’elle aime autant avoir un mari qui plaît... — Et courir le risque ?... — Faut pas exagérer... Le risque de quoi, au bout du compte ? (Montand, à qui on demandera s’il accepte la réciproque, répondra qu’il n’y a jamais pensé...)

    En coulisses, c’est une autre affaire. Un verre, un autre, un autre encore... Non sans cruauté, le cinéma lui propose des rôles de femmes délaissées, d’épouses amères, de courtisanes sur le retour. Elle tourne, c’est tout ce qui importe. Elle n’est pas moins éblouissante ni moins récompensée. À la ville, elle est de tous les combats de la gauche : contre la bombe atomique, contre le maccarthysme, en faveur de l’indépendance algérienne, des luttes féministes. Elle joue dans L’Aveu de Costa-Gavras, dénonciation des crimes staliniens, soutient Pierre Goldman, militant d’extrême gauche accusé d’un double meurtre...

    À l’écran, face à Jean Gabin, Philippe Noiret, Alain Delon, Lino Ventura, elle impose son âge, assume ses rides, son changement physique, accepte même d’être enlaidie. « Pour la joie d’un beau rôle, dit-elle, d’un vrai personnage, tout l’amour propre d’une femme par rapport à la beauté qu’elle a pu avoir passe au second plan. » En 1977, alors que sa santé se détériore, elle crève l’écran dans La vie devant soi de Moshé Mizrahi (d’après Romain Gary) dans le rôle (sans doute l’un de ses plus beaux) de Madame Rosa, une ancienne prostituée, rescapée d’Auschwitz, qui gagne sa vie en élevant les enfants de ses consœurs. L’année suivante, Simone Signoret reçoit le César de la meilleure actrice tandis que le filme décroche un Oscar à Hollywood.

    À voir sur france.tv
     

    Simone Signoret, figure libre
    Simone Signoret, figure libre
    DR
    Publié le 03 décembre 2025

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