Qu’on le veuille ou non, qu’on le sente ou non, la grande histoire, celle que l’on apprend à l’école, même à contre-cœur, résonne en permanence en chacun de nous. Parfois, elle parvient même à guérir une famille de ses tabous et non-dits.
C’est ce qui est arrivé à Isabelle Maroger : au collège, elle apprend l’existence des « Lebensborn », les tristement fameuses pouponnières nazies, et comprend intuitivement, confusément, que cette histoire s’adresse directement à elle. Plus tard, jeune mère devenue autrice illustratrice (notamment de livres pour la jeunesse), elle se met en quête de l’histoire de sa mère…
Il y a quelque chose d’assez incroyable dans ce rapport entre bébés et sélection nazie. Ça fait vraiment froid dans le dos. [...] Cette histoire est aussi la mienne et je peux la raconter à ma façon.
Isabelle Maroger, illustratrice et autrice de « Lebensborn »
De cette expérience, et des révélations et rencontres qui ont suivi, elle a tiré un roman graphique puissant, à la fois introspectif, didactique, universel et bouleversant. Lebensborn, paru en 2024 aux éditions Bayard Graphic, fait toute la lumière sur l’un des aspects les moins connus et les plus retors de la politique eugéniste nazie.
Savoir d’où l’on vient : je me suis toujours dit que ça allait rester un mystère toute notre vie. [...] Là, j’ai pu poser un visage sur ma grand-mère et entrer en relation avec elle. [...] On fait la paix avec soi-même. On se dit : voilà, je viens de là.
Isabelle Maroger, illustratrice et autrice de « Lebensborn »
À notre époque marquée par une recrudescence du racisme, quand certains de nos dirigeants, rêvant de « réarmement démographique », réactualisent soudain une idéologie qu’on pensait oubliée, le roman graphique d’Isabelle Maroger vient opportunément nous rappeler combien il est important, non seulement d’être attentif en cours d’histoire, mais surtout de « regarder la grande histoire en face, pour ne plus en avoir honte », précise-t-elle devant les caméras de CulturePrime.
Les « Lebensborn », usines à produire de bons Aryens
Mais au fait, c’est quoi, un « Lebensborn » ? Littéralement, le terme signifie « fontaine de vie ».
Entre 1935 et 1945, il désigne un projet terrifiant mis en place par l’Allemagne nazie : établir, à travers l’Europe, une trentaine de nurseries spécialisées.
Le but ? Accueillir de futures mères, sélectionnées selon des critères racistes extrêmement strictes et séduites au préalable par des SS ou des soldats allemands fortement incités à perpétuer la « pureté de la race », pour qu’elles donnent naissance à de beaux bébés blonds aux yeux bleus.
Les mères accouchaient dans un anonymat absolu, l’identité du père était occultée et les bébés étaient abandonnés ensuite au Lebensborn avant d’être adoptés par des familles dites « modèles ».
En Norvège, Pologne, mais aussi en France, en Belgique ou aux Pays-Bas, un peu plus de 21 000 bébés sont ainsi nés dans ces usines à produire à la chaîne de bons Aryens. Aujourd’hui, certains d’entre eux se sont lancés dans une quête vertigineuse pour percer le mystère de leur origine et être officiellement reconnus comme des victimes vivantes du régime nazi.
En plus des enfants nés dans les pouponnières, on estime à plusieurs dizaines de milliers le nombre d’enfants dits « racialement valables », enlevés à leurs parents en Norvège, Pologne et Tchécoslovaquie, pour être « germanisés » dans les Lebensborns.
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