« Tuer au nom de Dieu - Enquête sur le massacre de la Saint-Barthélemy »

Quand la caméra explore le temps : une ambitieuse fiction documentaire qui éclaire notre époque

France 2

Documentaire

Caméra au poing, comme s’il s’agissait d’un film du passé, cette fiction documentaire mène une enquête vertigineuse sur le massacre de la Saint-Barthélemy, matrice des tueries de masse ultérieures. L’occasion de s’interroger, en écho aux préoccupations contemporaines, sur la façon dont le fanatisme et la haine mènent au pire. Mardi 26 août à 21.10 sur France 2.

« Tuer au nom de Dieu - Enquête sur le massacre de la Saint-Barthélemy ». © Rebecca Vaughan Cosqueric / Nilaya Productions

Dans la nuit du 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy, débute dans les rues de Paris une tuerie de masse : pendant plusieurs jours, les ligues catholiques assassinent sauvagement des dizaines de milliers de protestants (le nombre de victimes oscillerait, en fonction des sources, entre 15 000 et 30 000).
Ce massacre, certainement l’un des événements les plus fameux de l’histoire de France (notamment à travers le récit qu’en a fait Alexandre Dumas dans La Reine Margot), est aussi, paradoxalement, le moins connu – ou, disons, le plus difficile à interpréter, faute de sources historiques concordantes.
Avec cette fiction documentaire ambitieuse, l’auteur-réalisateur Hugues Nancy, dont la filmographie revisite avec panache et érudition notre histoire (Révolution !, L’Épopée des gueules noires, Colonisation, une histoire française, Manouchian et ceux de l’Affiche rouge, Nous, les ouvriers), nous embarque, caméra au poing, dans une enquête vertigineuse et inattendue, sur la trace des véritables assassins de la Saint-Barthélemy.
L’occasion de retracer enfin toute la sinistre chronologie des événements et de s’interroger, en écho aux préoccupations contemporaines, sur la façon dont les mécanismes du fanatisme religieux, de la haine de l’autre et de l’instrumentalisation politique peuvent mener au pire. 
Tuer au nom de Dieu fait ainsi du massacre de la Saint-Barthélemy la matrice de tous les processus d’extermination ultérieurs. Ou comment l’histoire passée éclaire – d’une lumière aussi crue que nécessaire – notre temps présent.

Je veux comprendre ce qu’il nous est arrivé à tous, lors de ce déchaînement inouï de violence. Comment des Français ont-ils pu tuer d’autres Français, sous le seul prétexte qu’ils étaient d’une religion différente ? [...] C’est pour répondre à ces questions qui me hantent depuis tant d’années que j’ai décidé de me lancer à la poursuite des assassins de la Saint-Barthélemy.

 

Jean Picquier, rescapé de la Saint-Barthélemy - « Tuer au nom de Dieu »

À la manière de Peter Watkins revisitant la Commune de Paris comme s’il s’agissait d’un reportage filmé sur le vif (La Commune (Paris, 1971), diffusé en 2000 sur Arte), Hugues Nancy ose, comme il l’avait fait avec Révolution ! (diffusé en 2021 sur France 2), un parti pris formel audacieux : une caméra documentaire dans le passé.
Le regard-caméra du jeune Jean Picquier (incarné avec sobriété par Gaspard Meier) prend d’emblée le téléspectateur à témoin. Ce rescapé de la Saint-Barthélemy est une sorte de documentariste (très) avant l’heure. Dix ans après les événements, il mène (et filme, donc) une enquête pour démêler le fil de ces journées et retrouver les meurtriers de son père et de son frère. Avec l’aide du mémorialiste catholique Pierre de L’Estoile, il obtient des interviews des principaux témoins et/ou suspects : le pasteur Simon Goulart, Marguerite de Valois, le duc de Guise, Catherine de Médicis et jusqu’au roi Henri III. Chacun (personnages historiques ou anonymes que la recherche historique a tirées de l’oubli) défile devant « sa » caméra. Il finit même, comme un journaliste des temps actuels, par infiltrer la confrérie de Sainte-Geneviève, composée de catholiques radicaux pour aller au bout de son enquête et de ses intuitions.
Reconstituant peu à peu le puzzle de ces journées sanglantes, il va découvrir que le massacre ne s’est pas déroulé comme on a tenté de le lui faire croire… 
Trouvant un équilibre idéal entre l’émotion de la fiction (scénario au cordeau cosigné avec Adila Bennedjaï-Zou, reconstitution inspirée, interprétation sensible des comédiens) et la rigueur du documentaire (personnages et situations nourris des perspectives historiques récentes développées par le spécialiste des guerres de religion Jérémie Foa), Tuer au nom de Dieu fait œuvre d’histoire avec une sagacité, une pertinence et une intensité dramatique qui forcent l’enthousiasme.

Sachez, monsieur, que j’en ai par-dessus la tête de cette réputation dont je suis sans cesse affublée. Je vais le dire une bonne fois pour toutes : je ne suis pas l’instigatrice de ce massacre. Ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs ou des naïfs.

 

Catherine de Médicis - « Tuer au nom de Dieu »

En abordant l’histoire avec une telle modernité, Tuer au nom de Dieu filme la Saint-Barthélemy comme un thriller à suspense, sans pour autant tomber dans le sensationnalisme (tenant la violence à distance sans l’éluder, grâce à d’élégantes séquences en animation, à l’encre de Chine et au lavis, qui évoquent les dessins et gravures d’époque).
Ce faisant, le film témoigne de l’enchevêtrement complexe de facteurs religieux (les guerres entre catholiques et protestants endeuillent le royaume de France depuis 1559), contextuels (le mariage « mixte » controversé, le 18 août 1572, entre le huguenot Henri de Navarre, futur Henri IV, et Marguerite de Valois, la fameuse « Reine Margot », sœur du roi catholique Charles IX), politiques (l’attentat contre l’amiral Coligny, chef du parti protestant, et l’exécution d’une trentaine de nobles réformés commandités par la Couronne) et sociaux (les mauvaises récoltes, la hausse des prix et le luxe déployé à l’occasion du mariage princier alimentant la colère des Parisiens) qui ont conduit à ce massacre. Longtemps considérée comme un délire collectif, une éruption spontanée de violence populaire, la Saint-Barthélemy, apparaît alors sous un tout autre jour : un acte politique exécuté par des groupes très organisés, non pas prémédité mais favorisé par des années de persécutions. 

Tuer au nom de Dieu - Enquête sur le massacre de la Saint-Barthélemy

« Tuer au nom de Dieu »
« Tuer au nom de Dieu »
© Rebecca Vaughan Cosqueric / Nilaya Productions

1er épisode : Raison d’État
Jean, avec l’aide du mémorialiste catholique Pierre de L’Estoile, obtient des interviews des principaux témoins du massacre. Il rencontre à Genève le pasteur Simon Goulart, qui consacre sa vie à recenser les noms des victimes. Selon Goulart, c’est la famille royale qui est responsable de la Saint-Barthélemy, et notamment Catherine de Médicis. Jean interroge successivement Marguerite de Valois, le duc de Guise et Catherine de Médicis. S’ils admettent que la Couronne a ordonné le meurtre de l’amiral Coligny et des principaux chefs de guerre protestants pour protéger le royaume de France, ils affirment n’être en rien responsables des crimes qui se sont déroulés ensuite dans les rues de Paris. Marguerite de Valois était confinée au Louvre. Guise aurait quitté la ville quand le tocsin a sonné. Catherine de Médicis aurait tout fait pour arrêter ce qui n’était pour elle qu’un vent de folie collective incontrôlable. Jean sent qu’on ne lui dit pas toute la vérité. Quant aux témoins et rescapés, dans le chaos et la terreur, ils n’ont pas pu identifier les tueurs. Mais en interrogeant le roi Henri III, Jean découvre avec effroi qu’il détient au Louvre la montre de son père. Le roi lui révèle qu’un certain Nicolas Pezou la lui aurait offerte après la Saint-Barthélemy. Jean a enfin un nom à rattacher à la mort de ses parents.

2e épisode : Le temps des assassins
Henri de Navarre révèle à Jean que Nicolas Pezou était capitaine de la milice bourgeoise chargée de la protection de Paris avant de devenir prévôt du Languedoc. Mais il refuse d’en dire davantage, par souci de maintenir la paix fragile entre catholiques et protestants. Pierre de L’Estoile retrouve dans un texte de la culture populaire le nom de Pezou qui serait coupable, avec ses complices, de la mort de centaines de protestants, jetés dans la Seine derrière une « porte rouge » dans la « Vallée de Misère ». Cette rumeur serait-elle vraie ? Alors que Jean se rend dans la Vallée de Misère en espérant trouver les complices de Pezou, il apprend que des catholiques radicaux de la confrérie de Sainte-Geneviève ont organisé une procession pour célébrer le massacre de la Saint Barthélemy. Jean se fait passer pour catholique pour infiltrer ces fanatiques religieux, dont fait partie un certain Thomas Croizier, également membre de la milice bourgeoise. Ils prétendent que leur mission était d’arrêter et d’emprisonner les « hérétiques ». Mais à la Conciergerie de Paris, Jean et Pierre de L’Estoile vont découvrir une tout autre vérité. Et alors qu’une crise politique éclate au sein de la monarchie, Jean comprend enfin comment Nicolas Pezou s’est retrouvé en possession de la montre de son père et ce qui s’est joué derrière la fameuse « porte rouge » de la Vallée de Misère.

Fiction documentaire (2 x 55 min) – Réalisation Hugues Nancy – Scénario Adila Bennedjaï-Zou et Hugues Nancy – Avec la collaboration de Jérémie Foa – Librement inspiré de Tous ceux qui tombent de Jérémie Foa (La Découverte, 2021) – Musique Deborah Bombard-Golicki – Dessins et animation Serge Elissalde - 3.0 Studio – Production Nilaya Productions et France Télévisions – Avec la participation de Toute l’Histoire

Avec Gaspard Meier, Guillaume Marquet, Florent Cheippe, Maria Cristina Mastrangeli, Luc-Antoine Diquero, Pauline Cheviller, Thibault Vinçon, Jonathan Genet, Armand Eloi

Tuer au nom de Dieu – Enquête sur le massacre de la Saint-Barthélemy, diffusé mardi 26 août à 21.10 sur France 2, est disponible à partir du vendredi 22 août sur france.tv  

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