Je n’ai jamais rencontré personne qui dise que ça a été un succès.
La journaliste Rachel Johnson, sœur de Boris, ex-Premier ministre
Cinq Premiers ministres en huit ans, un Parti conservateur en déroute et une extrême droite qui entre pour la première fois à la Chambre des communes… Que s’est-il passé pour que s’effondrent tous les espoirs exprimés par la majorité des Britanniques avec la sortie du pays de l’Union européenne ? Crise économique, hausse de l’inflation, accroissement de la pauvreté… Le Royaume-Uni a désormais perdu sa cinquième place économique mondiale, et une sombre colère traverse la société.
Six ans après avoir réalisé un premier film sur le Brexit, le réalisateur franco-britannique Thomas Johnson et le correspondant à Londres du journal Le Monde, Éric Albert, mènent l’enquête pour comprendre les raisons de ce profond séisme. Ils sont partis à la rencontre des acteurs et des témoins de ce bouleversement politique : l’ancien Premier ministre Tony Blair ; des pontes du Parti conservateur ; Michel Barnier, le négociateur européen en chef du Brexit ; Rachel, la sœur de Boris Johnson, et Stanley, son père, devenu français après le Brexit ; ou encore Andy Wigmore, l’architecte de la campagne mensongère de Nigel Farage, le leader de la droite extrême.
Le programme économique proposé a été complètement rejeté par les marchés internationaux... Ça a été l’ultime point d’orgue de cette politique populiste.
Tony Blair, Premier ministre (1997-2007)

Dans les foyers britanniques, les déchirures ont parfois été profondes. Huit ans après le référendum qui a mené le Royaume-Uni vers le Brexit, les positions ont évolué. Le propre cousin du réalisateur, Jon Fennel, et fervent partisan du « Leave », n’est plus très sûr aujourd’hui de son choix : « Ça a notamment démontré que nos hommes politiques étaient des incapables ! » À Romford, cette professeure de danse, Hillary Webster, en désaccord avec son mari, a voté pour le Brexit comme près de 70 % de la population de la ville. « J’ai commis une grosse erreur. Je m’excuse auprès de tous les Européens. » Dans cette banlieue modeste de l’est de Londres, l’immigration a doublé en dix ans. « Le Brexit n’a apporté aucun avantage », n’hésite pas à marteler le député conservateur Dominic Grieve (de 1997 à 2019). On n’a pas été plus à même de réguler l’immigration, ce qui était l’une des principales raisons pour lesquelles les gens voulaient sortir de l’Union européenne. La pêche qui avait suscité beaucoup d’émotion n’en a tiré absolument aucun bénéfice. Nos échanges commerciaux ne se sont clairement pas améliorés, et notre liberté de circulation a été restreinte. Ce qui a eu de nombreuses conséquences négatives. »

Si c’était à refaire, moi je voterais pour rester dans l’Union européenne, et je connais beaucoup de pêcheurs qui feraient la même chose.
Mark Woodley, pêcheur
« Reprendre le contrôle » : le slogan de Boris Johnson pendant sa campagne pour le Brexit, a fait long feu. Le contrôle de ses zones de pêche a complètement échappé au pays – laissant le champ libre aux bateaux de pêche industriels européens et à leurs immenses filets – et laissé un goût amer aux pêcheurs traditionnels qui se sont sentis trahis par leur gouvernement. « La pêche est un secteur très important sur le plan politique, souligne Anand Menon, politologue au King’s College. Mais ce n’est pas un secteur très important pour l’économie britannique. »
Regardez l’état dans lequel est le NHS aujourd’hui : on n’avait jamais vu ça sous aucun gouvernement !
Une femme dans la rue
Pas de maîtrise non plus des fonds alloués au NHS (National Health Service), la sécurité sociale britannique, avec un système de santé à l’agonie. Les soignants ne décolèrent pas : « À l’hôpital, je n’ai vu aucun financement supplémentaire accordé au système de santé depuis le Brexit, témoigne Rowanna Shown, interne en médecine. À mon avis, le NHS ne tiendra pas cinq ans. » Pour l’experte en santé publique et professeure de virologie Jane Anderson, « la vraie question de fond que ça soulève, c’est : dans quel type de société vit-on si l’on ne prend pas soin les uns des autres comme on estime qu’il faudrait le faire ? »

Autres promesses de campagne réduites à néant : réduire l’immigration et restaurer la souveraineté. Les secteurs de la santé, de l’agriculture et du bâtiment ont dû remplacer les travailleurs des pays de l’Europe de l’Est, et l’immigration légale a plus que doublé depuis 2021. Les rêves d’ultra-libéralisme se fracassent également sur la réalité économique. « Des accords de libre-échange réellement bénéfiques » sont très difficiles à négocier avec « des partenaires plus importants », selon lord Peter Ricketts, diplomate et conseiller à la Sûreté nationale. « Le programme économique proposé a été complètement rejeté par les marchés internationaux, estime l’ancien Premier ministre Tony Blair (1997-2007). Ça a été l’ultime point d’orgue de cette politique populiste. »
Tous les rêves qui sous-tendaient le vote en faveur du Brexit se sont révélés irréalisables dans la pratique.
Lord Peter Ricketts, diplomate et conseiller à la Sûreté nationale
Cinq Premiers ministres se succèdent en huit ans, dont quatre démissionnent avec fracas, incapables de tenir leurs promesses populistes. Du jamais-vu dans l’histoire du Royaume-Uni. Comment le chaos politique s’est-il installé ? Comment le Parti conservateur a-t-il implosé ? Le 4 juillet 2024, les travaillistes gagnent haut la main les élections, tandis que le national-populisme et Nigel Farage entrent pour la première fois à la Chambre des communes. L’échec du Brexit a-t-il libéré l’extrême droite ? Quelles leçons l’Europe et la France ont-elles à tirer de cette triste aventure ?
Le Monde en face
Royaume-Uni : du Brexit au Bregret

Présentation Mélanie Taravant
Documentaire (70 min – 2024 – inédit) — Réalisation Thomas Johnson — Auteurs Thomas Johnson et Éric Albert — Production Siècle Productions, avec la participation de France Télévisions
Royaume-Uni : du Brexit au Bregret sera diffusé dans Le Monde en face dimanche 15 septembre à 21.05 sur France 5
À voir et à revoir sur france.tv