« Fièr·e·s – La voix du Pacifique »

Histoires de genre

France 3

Documentaire

Certain·e·s vivent leur identité de façon sereine, d’autres ont des histoires plus difficiles. Certain·e·s se définissent comme « mahu », d’autres comme « rae rae », d’autres encore comme femmes ou hommes à part entière. À travers leurs témoignages, ce documentaire nous offre une vision inédite de la transidentité dans la culture polynésienne, entre héritage et conquête. Dans « outremer.ledoc », lundi 23 juin à 23.35 sur France 3.

« Fièr·e·s – La voix du Pacifique ». © Louise-Michèle Cartouche

Dans les îles de la Polynésie, les personnes transgenres évoluent avec une apparente fluidité dans toutes les composantes de la société. Leur présence, observée dès le XVIIIe siècle par les voyageurs et les missionnaires occidentaux, n’a cessé d’intriguer et de fasciner, produisant au fil du temps un certain nombre de mythes et d’idées reçues que les femmes et les hommes transgenres de Polynésie tentent aujourd’hui de déconstruire.
Les mahu sont, dans la société et la culture tahitiennes, des nés hommes qui ont une part de féminité. Avant l’arrivée des Européens en 1842, ils étaient parfaitement intégrés dans la communauté. Il n’y avait pas de barrière, pas de tolérance, puisqu’au fond rien de particulier à tolérer. Tout leur était accessible : culture, arts, danse, chant, médecine, récit des légendes des dieux polynésiens… On leur prêtait même des talents innés dans ces domaines. En somme, ils étaient reconnus et appréciés pour ce qu’ils étaient en tant qu’individus et pour ce qu’ils apportaient à la communauté. 
L’arrivée du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) et de ses 15 000 militaires et techniciens à Mururoa, en 1962, a été un bouleversement total de toute la Polynésie, accélérant la monétarisation de la société. Dans ces conditions, la question du genre a percuté le phénomène grandissant de la prostitution. Certains mahu ont pris la décision de la transformation, se considérant et se comportant comme des femmes. Certaines sont allées jusqu’à entreprendre des modifications corporelles. Elles sont devenues des rae rae, un terme largement considéré comme péjoratif et dévalorisant aujourd’hui, désignant souvent un « mauvais genre », sinon une prostituée.
À travers une série de portraits lumineux et intimistes, avec l’éclairage de différents experts (historiens, sociologues, anthropologues, acteurs du monde associatif ou religieux), ce documentaire donne la parole et propose une relecture des questions de genre à la lumière de la culture polynésienne. 

Ce documentaire a reçu le 2e Prix spécial du jury et le Prix du public au Festival international du film documentaire océanien 2025.


Quatre questions à Raynald Mérienne, réalisateur

Qu’est-ce qui vous a inspiré ce documentaire ?
Raynald Mérienne : Dès ma première rencontre avec la Polynésie française, j’ai été fasciné par la grande visibilité des personnes transgenres dans la vie quotidienne tahitienne. [...] Cette situation contrastait fortement avec la réalité des personnes transgenres dans l’Hexagone, dont le quotidien était marqué par le rejet et l’exclusion. J’ai donc voulu comprendre […] pourquoi les cultures océaniennes semblaient vivre les questions d’identité de manière apaisée, tandis que les cultures occidentales étaient plus fracturées sur ces questions. Petit à petit, je me suis rendu compte que le sujet était bien plus complexe qu’il n’y paraissait et que, derrière l’image de façade, se cachait une réalité beaucoup plus contrastée avec des parcours de vie et des expériences parfois extrêmement douloureux. Mes lectures, mes recherches, mes discussions m’ont permis de comprendre que, si la société traditionnelle polynésienne a toujours été très ouverte sur les questions liées aux identités, la société contemporaine était en revanche plus divisée, produisant des situations de grande souffrance. À travers ce documentaire, j’ai donc cherché à comprendre ce qui explique cette évolution de la pensée, tout en laissant la parole s’exprimer. […]

Comment avez-vous travaillé pour représenter fidèlement et respectueusement les expériences des personnes transgenres dans votre documentaire ?
R. M. : Deux directions fondamentales ont guidé mon travail. La première a bien sûr été de rassembler le plus de témoignages possibles. J’ai ainsi échangé avec plus d’une centaine de personnes aux expériences et aux parcours très différents. Certaines sont de Tahiti, d’autres vivent dans les différents archipels du Fenua, d’autres encore ont choisi de s’installer en France métropolitaine. […] Nous avons partagé des discussions riches et sincères, soit par téléphone, soit en vis-à-vis autour d’un verre, dans l’environnement familial, dans le cadre d’un engagement professionnel ou associatif, à l’occasion d’un événement culturel… Ce sont des rencontres, des moments de partage, des échanges inspirants… La seconde direction a été de consulter historiens, sociologues, anthropologues ou encore acteurs du monde associatif ou du monde religieux, pour mieux observer l’évolution de la question des identités à travers l’histoire et mieux comprendre leur réalité actuelle. 

Quels défis avez-vous rencontrés lors du tournage ou de la production, et comment les avez-vous surmontés ? 
R. M. : Le plus grand défi a été de déterminer les cinq intervenants principaux du film parmi l’ensemble des témoignages recueillis, tant toutes ces histoires sont riches et passionnantes et peuvent permettre de nourrir la réflexion. Il fallait que les cinq témoignages retenus puissent mettre en lumière des réalités diverses et complémentaires, et des manières différentes d’appréhender les questions d’identité. On ne vit pas ces questions de la même manière selon qu’on réside à Tahiti ou dans les îles, selon qu’on ait 20 ans ou 50 ans, selon qu’on est né biologiquement homme ou femme. Il était essentiel que ces témoignages, sans être exhaustifs, puissent permettre à toutes les identités de s’exprimer. L’autre défi a été de ne pas tomber dans une vision caricaturale ou manichéenne. Il n’était pas question de faire un film misérabiliste ou au contraire de tomber dans l’angélisme. Je ne voulais pas non plus faire un film « idéologique ». Je souhaitais réaliser un film qui amène à la fois de la nuance et de la lumière. […]

Quel message principal souhaitez-vous transmettre au public ?
R. M. : À l’heure où nos sociétés contemporaines se fracturent et s’opposent, je veux mettre en lumière les enseignements riches et inspirants de la pensée océanienne tels qu’ils me sont apparus à travers mes recherches : à partir du moment où une personne participe activement à la vie sociale et au bien-être de sa communauté, à partir du moment où elle ne retire rien aux libertés fondamentales d’autrui, pourquoi ne pourrait-elle pas vivre pleinement l’identité que son cœur et son âme lui dictent ? Ce qui fait la richesse et la qualité d’une personne, ce n’est pas de s’inscrire dans une « norme » artificielle, fluctuante selon les époques et les cultures ; ce sont les valeurs humaines qu’elle porte et la lumière qui brille en elle.

Propos recueillis par Polynésie La 1ère

Fièr·e·s – La voix du Pacifique

Documentaire (52 min – 2024 – inédit) – Un film de Raynald Mérienne – Production DEBAZ.mediaEclectic, Stories & Co – Avec la participation de France Télévisions – Et le soutien du CNC, de la Polynésie française, de la Procirep et du ministère délégué chargé des Outre-mer

Diffusion dans « outremer.ledoc », lundi 23 juin à 23.35 sur France 3
À voir et à revoir sur france.tv

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