La fureur de vivre : « Cyril Collard – À la vie, à l’amour »

Qui se souvient de la déflagration des « Nuits fauves » ? De l’engouement en 1992 de toute une génération pour le film de Cyril Collard, qui ne verra pas son couronnement aux Césars, fauché par le sida à 35 ans. À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, ce film raconté par Clémentine Célarié rend hommage à l’artiste, écrivain et cinéaste, et à la pulsion de vie qui l’anima jusqu’au bout. À voir vendredi 1er décembre à 22.45 sur France 5 et sur france.tv.

« Cyril Collard – À la vie, à l’amour » © Getty / Bernard Fau

On veut pas que le cinéma tue la vie.

Cyril Collard

Trente ans après sa mort, Cyril Collard À la vie, à l’amour permet de redécouvrir le destin d’un artiste à part. Réalisé par Caroline Halazy, ce documentaire explore sa trajectoire fulgurante et aujourd’hui méconnue, qui a mené à un film culte pour toute une génération. Raconté par Clémentine Célarié, et porté par des archives très fortes et les témoignages de celles et ceux qui l’ont connu, le film traverse les années 1980. ll montre comment l’œuvre de Cyril Collard dit la liberté sexuelle et la rage de vivre d’un cinéaste, et résonne encore aujourd’hui.

Lorsque Les Nuits fauves sort en 1992 au cinéma, les morts du sida se comptent par milliers. Le grand public découvre un film coup de poing et l’histoire d’un garçon bisexuel et séropositif qui tente de continuer à vivre et à aimer. Un récit très largement autobiographique… Son auteur a découvert sa séropositivité six ans plus tôt : « La mort était là, écrit-il dans le roman éponyme. J’avais eu la certitude immédiate que la maladie serait une catastrophe planétaire qui m’emporterait avec des millions d’autres damnés. » Et pourtant… il va se jeter à corps perdu dans la vie et la création.
Né dans un milieu bourgeois, brillant étudiant, Cyril Collard choisit très tôt de s’extraire de son école d’ingénieur « Je les hais et je me hais d’être là avec eux » – pour se tourner vers ce qui le passionne : le cinéma. Premiers cours  « C’était important pour lui de faire du cinéma par nécessité », se souvient son professeur – ; puis rencontre avec Pialat. Il obtient un rôle et devient même son assistant sur le tournage d’À nos amours, avec Sandrine Bonnaire. Il y fera la connaissance de Jacques Fieschi, son futur coscénariste des Nuits fauves : « Il était beau, il aimait plaire, il savait plaire… Ce charme marchait sur beaucoup de gens différents. »
En 1988, il réalise son premier court-métrage, Alger la blanche, qui reçoit de nombreux prix : une histoire d’amour impossible entre Jean et Farid, inspirée d’un crime raciste non élucidé. Jean-Jacques Jauffret, premier assistant réalisateur des Nuits fauves, se remémore : « Là, j’ai eu un vrai choc : il y avait une singularité qui était assez incroyable, avec une liberté… On est toujours sur ce fil étroit qui est la marge. » 
Celui qui s’engagera contre l’extrême droite et tournera le clip Douce France pour son ami Rachid Taha va bientôt être confronté à un autre fléau : le sida. « On a oublié, je crois : c’était une maladie qui n’avait même pas de visage, rappelle Romane Bohringer. Les gens étaient cachés, parqués, craints comme le diable. » 
Cyril Collard choisit de se raconter et de dévoiler sa maladie en se lançant dans l’écriture de son roman Les Nuits fauves. Puis décide de l’adapter pour le cinéma et de le réaliser. 
« La présence de la maladie suscitait une rébellion chez lui… C’est ça qui est très fort chez Cyril, se souvient Jacques Fieschi, son coscénariste, ce qui était considéré comme le début de la fin  sans espoir, sans rémission –, lui, ça lui a donné cette énergie énorme. »

Il est envoûtant parce qu’il est libre.

Jean-Jacques Jauffret, assistant réalisateur des « Nuit fauves »
À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida
« Cyril Collard – À la vie, à l’amour ».
© Getty / Bernard Fau

Les Nuits fauves s’impose comme la première œuvre grand public à parler du sida. Un film en avance sur son temps. Non seulement par sa manière de briser le tabou de cette maladie que le public tenait alors à distance, mais aussi par ce choix assumé de donner à voir la marginalité, des personnages anticonformistes, des comportements dérangeants. Pour Jean-Jacques Jauffret, « c’est la rencontre des deux virus : le virus de l’extrême droite et le virus du sida… le sang contaminé devient une arme ». Le film est vu par trois millions de spectateurs. Audacieux, libre, cash, parfois cru, il touche au cœur la jeunesse des années sida. Cyril Collard balaye les tabous, ne s’interdit rien, parle de liberté, de sexe vite consommé comme de passion dévorante. Chez lui, rien n’est lisse : ni les émotions ni la manière de les filmer. Il bouscule le cinéma français de l’époque, qui ressemble trop selon lui à « un cinéma de bureau »« Je suis vivant », dit-il à la fin du film, malgré la maladie. C’est cette vie-là qu’il est allé chercher dans chacun de ses plans, chacune de ses mises en scène, tâchant de ne pas trahir le réel. Cyril Collard reçoit des milliers de lettres de jeunes, ébranlés par le film. La lecture de quelques-unes d’entre elles dans le documentaire révèle ce qui, dans son œuvre, avait touché les spectateurs, en particulier les plus jeunes.
Trois jours après sa mort en mars 1993, lors de la cérémonie des Césars, Les Nuits fauves est récompensé par trois Césars, dont celui du Meilleur espoir féminin pour Romane Bohringer. Cyril Collard devient une icône. Qui sera écornée un an après à cause d’une polémique lancée par Françoise Giroud…

Cyril Collard – À la vie, à l’amour

Rebelles ou l’art de bousculer

Collection - Rebelles ou l’art de bousculer 
© DR

Documentaire(inédit – 60 min – 2023) – Réalisation Caroline Halazy – Narration Clémentine Célarié – Production Brainworks

Cyril Collard  À la vie, à l’amour est diffusé dans la collection « Rebelles ou l’art de bousculer » vendredi 1er décembre à 22.45 sur France 5
À (re)voir sur france.tv

Collection « Rebelles ou l’art de bousculer »
Leur art exprime une révolte, un moment de rupture dans le monde de la création. Artistes contemporains majeurs, français ou internationaux, ils ont, par leur vision du monde, souvent créé le scandale et contesté les ordres établis. Leur héritage est incontestable et marque durablement. La collection « Rebelles ou l’art de bousculer » propose de raconter ces artistes sans concession au travers de portraits unitaires et résolument éclectiques.  

Publié le 30 novembre 2023