Le Billet de Zahia Ziouani

À la tête de son propre orchestre et de son propre conservatoire, la cheffe Zahia Ziouani nous livre un témoignage puissant sur ce que son parcours nous dit de la place des femmes dans la musique classique. De sa rencontre déterminante avec le maestro Sergiu Celibidache à la nécessité de faire exister la présence féminine au sein des ensembles instrumentaux, elle dresse un constat sans appel du travail qu’il reste à accomplir pour faire enfin progresser la condition des femmes dans la culture.

La cheffe d'orchestre Zahia Ziouani © France tv

J’ai commencé l’alto vers 13-14 ans, et le fait de découvrir une formation de l’intérieur a été une révélation. Je me suis tout de suite dit : « Quand je serai grande, je serai cheffe d’orchestre. ». Et quand, pour la première fois, je me suis retrouvée devant un ensemble instrumental à diriger, parce qu’on avait besoin de quelqu’un pour « battre la mesure », la jeune fille réservée que j’étais a tout de suite compris que l’estrade était son univers. Je ne me sentais plus élève, mais artiste. Et certains de mes professeurs me disaient, pas du tout de façon malveillante d’ailleurs : « Zahia, ce n’est pas un métier pour les femmes et les jeunes, concentre-toi sur tes études d’instrument. ». 

Je ne me suis pas arrêtée de rêver, je n’ai pas baissé les bras et j’ai commencé à me préparer à ce métier.

Zahia Ziouani, cheffe d'orchestre

Je ne savais pas comment on devenait cheffe d’orchestre. J’ai emprunté des conducteurs à la bibliothèque de mon conservatoire, j’ai étudié ces partitions. J’ai assisté à des rencontres publiques de direction d’orchestre, j’ai rencontré Sergiu Celibidache et intégré sa classe. Je me suis immergée dans cet univers pour mieux le comprendre. Je l’ai fait pour moi, sans me soucier que ce soit quelque chose de nouveau. C’est plus tard que je me suis rendu compte qu’il y avait encore pas mal d’idées reçues sur les femmes.

À cette époque, je n’avais pas peur d’être une femme cheffe d’orchestre, j’étais plutôt préoccupée par le fait de venir de Seine-Saint-Denis, et de me retrouver confrontée à l’image que l’on renvoie des jeunes de ces quartiers-là.

Zahia Ziouani, cheffe d'orchestre
" L'estrade est mon univers", Zahia Ziouani
" L'estrade est mon univers", Zahia Ziouani
© France tv

Je n’aurais jamais été cheffe si je n’avais pas dû entreprendre ce que j’ai entrepris. C’est-à-dire créer mon propre orchestre et le développer. Aujourd’hui, les grands orchestres en France (entendre ceux institutionnels financés par l’État) sont dirigés principalement, pour ne pas dire exclusivement, par des hommes. Donc, oui, en tant que femme, j’ai dû en faire plus, beaucoup plus. Parce qu’on ne nous offre pas du tout les mêmes opportunités. J’ai toujours su que c’était le prix à payer, et ça ne m’a pas empêchée de le faire. Au contraire, quelque part, pour moi, ça a même été bénéfique.

Si j’avais eu les mêmes facilités que mes collègues masculins, j’aurais exercé ce métier de façon un peu plus traditionnelle.

Zahia Ziouani, cheffe d'orchestre

Et ces difficultés m’ont obligée à réfléchir à quel orchestre j’avais envie de créer, quelle cheffe j’avais envie d’être. Sans ces mêmes moyens financiers, j’ai tout de même pu trouver mon identité artistique et le sens de mon engagement d’aujourd’hui. J’ai eu très tôt cette volonté de me réapproprier les œuvres en les réinterrogeant avec d’autres musiques, d’autres styles.

La musique symphonique n’a jamais été déconnectée du monde. Il y a de nombreux liens avec la société contemporaine.

Zahia Ziouani, cheffe d'orchestre

Par exemple, en ce moment, certains se demandent ce que c’est qu’être français. Il n’y a pas une seule façon de l’être, comme il n’y a pas une seule façon d’être musicien. Et quand on regarde la musique française, on se rend compte qu’elle s’est beaucoup inspirée de cultures étrangères.

"C'est là que je me suis sentie artiste pour la première fois".
"C'est là que je me suis sentie artiste pour la première fois".
© France tv

Depuis quatre ou cinq ans, on parle beaucoup de la place des femmes dans les milieux culturels, notamment à travers des campagnes contre les violences sexistes et sexuelles. Ce qui a révélé la fragilité de la place des femmes à tous les niveaux. Peut-être a-t-on trop insisté sur cet angle des violences sexistes et sexuelles, même si cela doit être une priorité, et qu’il faut combattre ces violences de toutes nos forces. Mais, derrière ça, s’est installée une forme de politiquement correct, comme si le sujet autour des femmes n’était que ce sujet-là. 

Ce n’est pas parce qu’on va éradiquer les violences faites aux femmes qu’on va changer la place des femmes dans la société : la fragilité des femmes ne se situe pas qu’à cet endroit-là.

Zahia Ziouani, cheffe d'orchestre

Dans la culture, et ailleurs, il y a des inégalités sur les postes à haut niveau, sur la représentativité des femmes, sur les degrés de rémunération, sur les fonds qui sont alloués, etc. À engagement égal, les dotations sont encore trop inégalitaires, et ça, c’est la réalité, ça existe encore. Malgré des initiatives comme La Maestra, qui est un concours qui met en avant les femmes cheffes d’orchestre et leur parcours, ce n’est pas pour autant qu’on invite plus de femmes à diriger des grands orchestres. Pour moi, ce n’est pas suffisant.

À toutes les jeunes filles qui n’osent peut-être pas rêver de devenir des grandes figures de la musique classique, je dis : trouvez votre propre voie, et si vous en avez la volonté et que vous travaillez, vous obtiendrez des résultats. Je les mets cependant en garde sur les difficultés et les résistances qu’elles rencontreront. C’est important de se préparer à l’échec, c’est aussi ça qui nous rend plus fortes par la suite.

Une étude de la SACD a montré que moins de 4 % des concerts étaient dirigés par des femmes.

Zahia Ziouani, cheffe d'orchestre

On est loin d’être dans des proportions de parité. Ce qui est primordial, c’est de permettre aux femmes d’accéder à ces postes de responsabilité. Oui, nous sommes minoritaires dans beaucoup de filières, mais c’est justement l’objet de mon travail de transmission pédagogique. L’envie des femmes est là, mais les barrières sont aussi culturelles et les faire tomber nécessite de la représentativité. Aujourd’hui, nous devons nous concentrer sur la valorisation de celles qui sont là, et cela créera mécaniquement des vocations chez toutes les jeunes filles qui rêvent de devenir cheffe d’orchestre, ou metteuse en scène, ou ingénieure en génie civil, ou ce qu’elles veulent être ! 

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