Interview d’Olivier Py : « Partir dans un grand éclat de rire »

Auteur, comédien, metteur en scène prolifique... C’est le Festival d’Avignon qui a révélé Olivier Py au grand public. L’homme de théâtre en est devenu le directeur en 2013. Après dix années intenses en combats et en émotions, il passera la main à son successeur lors de la 76e édition du plus grand festival de théâtre du monde, qui se tiendra du 7 au 26 juillet. Rencontre avec un amoureux engagé, sur les planches comme en coulisses.

Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon © CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE / FESTIVAL D’AVIGNON

Bonjour Olivier Py. Chaque année, le Festival d’Avignon organise sa programmation autour d’un thème. Pour cette dernière édition vous avez choisi le thème « Il était une fois… ». Pourquoi avoir fait ce choix ?
D’abord il y a une raison artistique. Je me suis rendu compte que de nombreux spectacles présentés cette année au festival avaient un lien avec les contes et avec le récit. Et puis on peut également considérer le récit comme une force politique. Au travers du théâtre, on se pose des questions de société sur ce qui est vrai, les fake news, comment l’Histoire est réinterprétée, voire réécrite. On a donc voulu mettre la question narrative comme un fil rouge dans l’ensemble du Festival d’Avignon cette année.

À quelles pièces pensez-vous en particulier ?
La plupart des pièces relèvent du thème. La première, c’est le Moine Noir, de Kirill Serebrennikov, que l’on ouvre dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. C’est évidemment un conte. C’est un Tchekov méconnu, peu réaliste, qui tire plutôt vers le conte fantastique. Et puis, beaucoup plus humble peut-être, trois spectacles pour les enfants, qui sont tous tirés de contes et qui ont lieu au Théâtre Benoît XII. Mais l’ensemble du Festival racontera des histoires bien sûr.

Le Moine Noir, de Kirill Serebrennikov,
Le Moine Noir, de Kirill Serebrennikov, 2022
© Krafft Angerer

 

Après deux années de crise sanitaire, les temps semblent difficiles pour certaines salles de spectacle, qui peinent à faire revenir les spectateurs. Comment se porte le Festival d’Avignon ?
Le Festival d’Avignon est un cas un peu particulier puisqu’on n’a pas assez de places à vendre ! D’abord il n’y a pas eu de défection du public l’année dernière. Et les réservations qui se sont ouvertes le 21 mai dernier nous laissent à penser que cette année aussi, il y a aura une grande adhésion du public. Mais on partage l’inquiétude sur les cinémas et les théâtres, notamment dans les grandes villes, qui n’ont toujours pas retrouvé la même fréquentation.

Quand une place de Lady Gaga est à 200 euros… j’aimerais savoir qui est élitiste !

Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon

Que répondez-vous aux critiques qui qualifient le Festival d’Avignon d’élitiste ? Comment avez-vous réussi à le rendre plus populaire ?
Pour les moins de 26 ans, la place est à 10 euros, alors qu’une place de Lady Gaga est à 200 euros… donc j’aimerais savoir qui est élitiste !

Ce n’est peut-être pas qu’une question de prix… Qu’est-ce-que le théâtre populaire aujourd’hui ?
La plus grande exigence artistique au plus bas prix possible. Il faut expliquer au public que si nous arrivons à faire du théâtre populaire, c’est parce que la subvention ne subventionne pas que les artistes, elle subventionne d’abord le spectateur.

Affiche du Festival d'Avignon 2022
Affiche du Festival d'Avignon 2022
© Kubra Khademi

La nouvelle affiche du Festival a récemment provoqué une polémique. Cela vous a-t-il surpris ?

Je ne me suis pas beaucoup intéressé à cette polémique… Si, à chaque fois que 80 fachos écrivent quelque chose sur le net, je dois faire une réponse, je vais être très occupé ! L’affiche a été réalisée par Kubra Khademi, une artiste et militante féministe afghane en exil. Elle a lutté contre les extrémistes, notamment avec des performances en Afghanistan. Elle se représente elle-même sur cette affiche et elle sera sans doute amusée de voir qu’en France il y a quelques extrémistes qui traînent aussi.

Je pense que la parité est une idée que l’on peut dépasser. On peut aller plus loin.

Olivier Py, Directeur du Festival d'Avignon

Le Festival d’Avignon fait la part belle aux femmes, avec la programmation cette année de 27 femmes metteurs en scène (sur les 46 spectacles programmés). Vous avez affirmé vouloir plus de femmes que d’hommes. Pourquoi ?
Depuis deux ans, on est quasiment paritaire. Mais je préfèrerais un festival où il y a une majorité de femmes plutôt qu’un festival paritaire. Le jour où il y aura plus de femmes, on aura vraiment gagné la bataille. L’humanité n’est pas double, elle est une. L’assemblée ne doit pas être coupée en deux, avec une moitié d’hommes et une moitié de femmes. Je pense, en revanche, qu’il serait préférable d’avoir une majorité de femmes puisqu’elles ont été minoritaires pendant des millénaires. Il faut leur rendre aujourd’hui leur parole. Et puis, finalement, les femmes sont majoritaires dans le monde. Je pense que la parité est une idée qu’on peut dépasser. On peut désormais aller plus loin.

Lady Magma, un spectacle de Oona Doherty
Lady Magma, un spectacle de Oona Doherty
© Festival d'Avignon

Quels sont selon vous les temps forts de ce prochain Festival d’Avignon ?
Chaque spectacle est un temps fort. Chaque spectacle est une aventure. J’ai même envie de dire que chaque lever de rideau n’est jamais gagné, est toujours héroïque. Que cela se joue dans la Cour du Palais des Papes, c’est-à-dire dans le lieu le plus prestigieux, ou bien dans un petit spectacle en tournée – parce que nous faisons des spectacles itinérants aussi – c’est la même intensité. Les trompettes du Festival vont résonner de la même manière. Et l’idée même du théâtre populaire sera aussi forte dans les grands lieux que dans les petits.

Il faut que le spectacle soit divertissant. Il faut d’abord qu’on ait du plaisir. Quand on va voir des œuvres d’art, on ne va pas voir des sermons. On ne va pas voir des leçons de morale. On va voir des œuvres d’art avant toute chose.

Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon

Quelle devrait être selon vous la place du théâtre à la télévision et sur les plateforme numériques, qui prennent de plus en plus de place parmi les écrans consultés par les téléspectateurs ?
Plus, toujours plus.

Vous avez dit par le passé que le théâtre était un art de l’incarnation, un art très politique, dans un monde qui devient de plus en plus virtuel. Qu’est-ce-que le théâtre a à nous dire aujourd’hui ?
Déjà, sortir de chez soi et se réunir, aujourd’hui, c’est une force politique, puisqu’on a été longtemps enfermé derrière des écrans. Mais je ne considère pas que les captations et le streaming s’opposent à ça, au contraire. C’est ce qui peut donner envie, justement, de se retrouver dans une salle tous ensemble. Il y a là quelque chose qui est célébré. Il s’agit peut-être, d’ailleurs, de la liturgie même de la république ou de la démocratie, qui a lieu quand on se retrouve dans une salle de théâtre. Et cela ne nécessite pas que le spectacle soir une imprécation politique. Il faut que le spectacle soit divertissant. Il faut d’abord qu’on ait du plaisir. Quand on va voir des œuvres d’art, on ne va pas voir des sermons. On ne va pas voir des leçon de morale. On va voir des œuvres d’art avant toute chose. Donc je dirais que la plus grande force aujourd’hui du théâtre, c’est déjà de proposer d’éteindre un peu les écrans et de se rencontrer en présence.

La Cour d'honneur du Palais des Papes,
La Cour d'honneur du Palais des Papes, La Cerisaie de Tiago Rodrigues, 2021
© Christophe Raynaud de Lage

Ce sera votre dernier Festival en tant que directeur… Quels ont été pour vous les moments les plus marquants de cette aventure ?
Il y en a trop en dix ans. J’aurais du mal à choisir. Par contre, je crois que le festival a changé, qu’il a une image moins élitiste. Les gens ont fini par comprendre qu’il était là pour tous, et qu’il était ouvert à tous. En un sens, il s’est aussi politisé. On comprend que l’on n’est pas là uniquement pour consommer des spectacles comme on consommerait des bonbons. Non, on est là pour se rencontrer, assister à des prises de parole, des débats et des moments de fête. Je pense, en dernier lieu, que c’est un festival qui résonne beaucoup plus avec le monde aujourd’hui.
Le Festival est devenu plus ouvert sur l’international, avec de plus en plus de pays qui y sont représentés. Et enfin, je dirais que ma plus grande fierté, ce sont les artistes que l’on a découverts, qui ont maintenant créé un lien avec le public, et même parfois sont devenus des artistes prestigieux. La première fois que Kirill Serebrennikov est venu au Festival, personne ne le connaissait. La première fois que l’on a vu Thomas Jolly en 2014, c’était un tout jeune metteur en scène. Aujourd’hui, ce sont des artistes qui comptent, et j’espère que le Festival les a aidés dans cette aventure.

Jean Vilar, quand il a inventé le Festival, a en quelque sorte inventé la politique culturelle. Donc quand nous défendons le Festival, nous défendons une certaine idée de la culture, comme un des piliers qui soutient notre démocratie.

Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon

Que souhaitez-vous à votre successeur, le metteur en scène Tiago Rodrigues ? Quels sont les principaux défis à venir pour le Festival ?
Les défis sont nombreux. D’abord, il faut arriver à indexer les subventions du festival sur l’inflation qui avance en galopant. On ne peut pas continuer à faire un festival populaire avec une offre magnifique pour 150 000 spectateurs si les budgets ne sont pas ajustés. Donc là, il doit y avoir un effort des pouvoirs publics. Ensuite, il faudra continuer la lutte pour chercher à rajeunir le public. Parce qu’aujourd’hui, la courbe démographique ne va pas dans ce sens. Il faut davantage se tourner vers les publics des cités, les publics qui sont éloignés du centre-ville. Ils ne vont pas venir au Festival sans un travail de relations publiques de notre part. Et puis il faudra identifier de nouveaux artistes dans le monde. Il faut continuer à promouvoir le théâtre dans ce monde dans lequel la culture devient de plus en plus écartée. Donc le festival ne témoigne pas que pour lui-même. Jean Vilar, quand il a inventé le festival, a en quelque sorte inventé la politique culturelle. Quand nous défendons le festival, nous défendons une certaine idée de la culture, comme un des piliers qui soutient notre démocratie. Une démocratie sans culture, cela n’a pas grand sens. La culture commence à l’école bien sûr, mais elle continue, tout au long de la vie, et notamment au sein des institutions culturelles.

Voulez-vous nous dire quelques mots sur Ma jeunesse exaltée, votre dernière création, qui sera présentée au Festival ?
C’est un long spectacle qui se déroule en quatre fois deux heures. C’est, en quelque sorte, un retour aux sources. Il y a 27 ans, au Festival d’Avignon, j’avais fait un spectacle, La Servante, qui durait 24 heures et se déroulait au Gymnase Aubanel. J’avais envie de retourné à ce gymnase.
J’avais également le souhait de faire une comédie, de partir dans une sorte de grand éclat de rire. Donc cette pièce est sous le signe d’Arlequin et c’est Arlequin qui en est le personnage central.

C’est une façon de dire au revoir à ce festival que vous aimez tant ?
Oui, mais ce n’est qu’un au revoir justement. Je serai présent au Festival, c’est ma vie. Je l’ai aimé d’un amour infini. Je continuerai de l’aimer bien évidemment. Je continuerai à y être présent et j’aurai l’immense bonheur d’y être un simple spectateur l’année prochaine.


Le Festival d'Avignon est à retrouver sur les antennes de France Télévisions du 3 au 24 juillet et en replay sur Culturebox.

Iphigénie, une mise en scène de Anne Théron à l’Opéra Grand Avignon, sera diffusée le vendredi 15 juillet sur France 5 et le dimanche 24 juillet sur Culturebox.

Retrouvez ensuite deux nuits spéciales consacrées au Festival d’Avignon.

Le dimanche 10 juillet :
Les Damnés de Ivo Van Hove
Henri IV de Thomas Jolly
Miss Knife de Olivier Py

Le dimanche 17 juillet :
La Cerisaie de Tiago Rodrigues
L’Amour vainqueur de Olivier Py

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