Ruée sur le rail

En pleine crise écologique, le train vit un moment charnière, près de deux cents ans après son arrivée sur les rails et quarante ans après le lancement du TGV. Du cœur du Massif central au sud de la Gironde, d’Argenton-sur-Creuse aux cités cheminotes de Miramas, voyage à travers la France ferroviaire, raconté par François Morel. Entre écologie, utopie et exigences de rentabilité. Un doc suivi d'un débat, à voir dans « Le Monde en face », dimanche 10 décembre à 21.05 sur France 5.

Le train sera le mode de transport du XXIe siècle, s’il survit au XXe siècle. 

Louis Armand, ancien directeur général de la SNCF

Populaire mais cher sur la longue distance, le train peut-il encore être un transport d’avenir ? Le plan à cent milliards d’euros annoncé par Matignon suffira-t-il à combler le retard français, pour faire du rail « la colonne vertébrale des mobilités » ? Le fer peut-il vraiment l’emporter sur le carbone, comme l’ambitionne le président de la SNCF Jean-Pierre Farandou ? Ce voyage à la rencontre des acteurs et usagers du ferroviaire, narré avec poésie par François Morel, permet d'esquisser des réponses. Un film suivi d’un débat animé par Mélanie Taravant.

« Mon père était chef de gare lorsque je suis né, se souvenait François Mitterrand. Et j’ai connu dans mon enfance l’atmosphère des trains à l’arrivée, des trains en partance, ce remue-ménage des hommes… C’est une poésie qui me marque encore. » Aujourd’hui, Macron aime à dire : « Je suis moi-même petit-fils de cheminot, donc j’y crois complètement. » Chaque président de la République, au fil des mandats, a proclamé son attachement au train, mode de transport qui a façonné depuis deux cents ans le territoire hexagonal et les imaginaires. Mais aujourd’hui, le contexte a bien changé : plus assez de trains, plus assez de conducteurs et des tarifs trop élevés… Et pourtant, les grandes lignes enregistrent des records de fréquentation.
Lui-même fils de cheminot, et petit-fils de garde-barrière, le comédien François Morel dessine par sa voix le nouveau paysage du ferroviaire français. Divisé par deux en un siècle — 20 000 km de lignes abandonnées depuis la Seconde Guerre mondiale —, le réseau souffre aujourd’hui de son vieillissement et du manque d’investissements. À l’image de la ligne POLT (Paris-Toulouse par Orléans et Limoges) qui enregistre une succession de retards, des pannes à répétition, des suppressions de trains… Un sentiment de « déclassement » pour beaucoup d’habitants de ces régions qui se battent pour le maintien ou le retour des petites lignes : « On en a besoin de ce train de desserte, clame Martine Irzensky, présidente du comité de défense de la gare d’Argenton-sur-Creuse. On se sent rayé de la carte, comme si on n’existait pas. »

Le Monde en face
« Train, la nouvelle bataille du rail »
© Maximal Productions

Je ne supporte pas de voir une gare sans train… Pour moi, c’est comme une fontaine sans eau.

Éric Paillès, conducteur de train sur la ligne Aubrac

Ailleurs, la route concurrence le rail, comme l’A 75 pour la ligne Aubrac, qui traverse le Massif central. « Aujourd’hui, en France, regrette Frédéric Laur, secrétaire de la CGT Cheminots, on gagne plus d’argent avec la route, donc on ne fait pas le choix du ferroviaire. » Le cas de l’usine ArcelorMittal, à Saint-Chély-d’Apcher, en Lozère, illustre bien ce paradoxe : chaque jour, la matière première — des bobines d'acier — arrive directement par la ligne Paris-Béziers, menacée de suppression. « Une bobine, c’est un camion, explique Philippe Chapus, directeur chez ArcelorMittal, le fret nous permet d’économiser plus de dix mille camions par an sur la route. » Mais l’acier transformé repart dans des camions : trente par jour ! En cinquante ans, le fret ferroviaire français a été divisé par six. Le gouvernement annonce vouloir le doubler d’ici à 2030.

D’autres lignes sont en expansion, malgré les résistances en territoire rural : celles qui permettent au TGV de circuler. Six nouvelles LGV sont en prévision. Le train star qui a « rétréci la France » a toujours le vent en poupe, malgré son système de tarification très onéreux, calqué sur l’aérien et cible des critiques. « Si on veut plus de trains, il faut qu’on aie la capacité d’acheter 3,5 milliards d’euros de nouveaux trains, répond Alain Krakovitch, directeur de TGV-Intercités à la SNCF. Ces investissements ne viennent que des billets de nos voyageurs. » À cela s’ajoute le coût des péages ferroviaires, les plus élevés d’Europe. « En moyenne, sur la grande vitesse, explique le spécialiste Gilles Dansart, directeur du site Mobilettre, 40 % du prix du billet va à l’entretien de l’infrastructure. » 
Mais, pour Philippe Barbedienne, président de la Sepanso Gironde : « Le TGV vampirise le réseau ferroviaire classique : il n’y a plus assez d’argent pour l’entretenir et le moderniser… » 
Partout dans les campagnes, des collectifs se montent pour défendre les petites lignes, tandis que les chantiers pour les futures LGV sont contestés. De nouveaux acteurs privés s’invitent dans la course, sans grand résultat pour l’instant. Promesse de liberté et de démocratisation du voyage au début du XXe siècle, le train fracture la France comme jamais.

Le Monde en face
« Train, la nouvelle bataille du rail »
© Maximal Productions

Alors que la crise écologique n’a jamais été aussi palpable, l’État a annoncé un plan de cent milliards d’euros pour le chemin de fer d’ici à 2040, tournant majeur après des années de sous-investissement. Le déraillement tragique du Paris-Limoges, le 12 juillet 2013 à Brétigny-sur-Orge, a agi comme un électrochoc :« On a compris à ce moment-là qu’on ne pouvait plus laisser notre réseau vieillir et qu’il fallait trouver les ressources pour le rajeunir », explique la journaliste au Monde Sophie Fay, en charge des transports, du secteur automobile et des mobilités. Mais « le temps du train est toujours un temps très long »... Saura-t-il prendre le virage du XXIe siècle ?

Est-ce que les gens vont être heureux parce qu’ils roulent deux fois plus vite ? Je ne pense pas… Ils vont être plus heureux si on préserve leur qualité de vie, pas si on la saccage.

Philippe Barbedienne, président de la Sepanso Gironde

Le Monde en face : Train, la nouvelle bataille du rail

Le Monde en face
« Train, la nouvelle bataille du rail »
© Maximal Productions

Moins rapide, bien moins polluant et autrement plus pittoresque que l’avion, le train promet un autre rapport au temps. Ralentir, dans un monde où tout va trop vite... Comme une réponse à la fatigue générale de la société. Ainsi, près de 200 ans après son arrivée sur les rails, 40 ans après le lancement du TGV, le train vit un moment charnière...

Documentaire (70 min – 2023 – inédit) – Réalisation Marie Lorand – Commentaire François Morel – Production Maximal Productions

À l'issue du documentaire, Mélanie Taravant animera le débat avec
Clément Beaune, ministre des Transports ; Sophie Fay, journaliste au Monde, en charge des transports ; Emmanuel Duteil, directeur de la rédaction de l'Usine NouvelleAntoine Pecqueur, auteur de Géopolitique du rail : le train aux cœur des enjeux contemporains (Éditions Autrement).

Magazine – Présentation Mélanie Taravant  Avec la participation de Clément BeauneSophie FayEmmanuel Duteil et Antoine Pecqueur

Ce documentaire est diffusé dimanche 10 décembre à 21.05 sur France 5
Le Monde en face : Train, la nouvelle bataille du rail est à voir et revoir sur france.tv