« Sale Temps pour la planète » : le nord de la France confronté au changement climatique

Dans les Hauts-de-France, Morad Aït-Habbouche a filmé les conséquences du changement climatique. Sur terre comme en mer, dans les campagnes comme en ville, leurs habitants se voient contraints de s’adapter. « Sale Temps pour la planète » est diffusé lundi 5 février à 21.05 sur France 5.

« Sale Temps pour la planète : Le Nord en surchauffe ». © Elle Est Pas Belle La Vie

On commence la moisson, on est le 15 juillet. Quand j’avais l’âge d’Antoine [mon fils], on ne commençait jamais avant le 5-10 août.

Thibaut Samier, agriculteur

« On voit bien à quel point les phénomènes sont de plus en plus violents, explique Thibaut, au volant de son tracteur. Les périodes de sec comme les périodes d’humide sont de plus en plus intenses. Preuve que c’est lié au réchauffement (…). Quand on se prend une vague de chaleur, des 35-38 °C, ici, les cultures qu’on a l’habitude de mettre en place ne sont pas du tout adaptées à ces climats-là. Et on se prend des stress et des pertes de rendement qui sont irrémédiables. Il suffit de deux ou trois jours à 38 °C pour entamer le potentiel d’une culture (…). On arrivera toujours à s’adapter. On s’adapte. Maintenant, c’est clair que, dans vingt ans, on ne fera pas le même métier qu’aujourd’hui. On en est parfaitement conscients. » S’adapter, encore et toujours. Mais à quel prix et dans quelles conditions ?
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, pour nourrir la population française, on n’hésita pas à imposer d’autres modèles agricoles plus rentables. Aux oubliettes les haies ou les talus, place aux vastes champs où des machines toujours plus grandes pouvaient aisément travailler. On louait les bienfaits de l’agriculture et de l’élevage intensifs. On se réjouissait des étals regorgeant de fruits, légumes, viande et poisson sans se préoccuper des conditions dans lesquelles ils avaient été cultivés, élevés ou pêchés. À ceux qui nous nourrissaient, on en demandait toujours plus. Plus de choix à moindre prix, en respectant les soi-disant attentes des consommateurs. Un produit formaté, calibré auquel nous avons un temps adhéré. Mais cela pouvait-il durer ? 

« Imaginons nos futurs » est un projet complètement utopique qui veut aider à se projeter vers un avenir plus positif, parce que souvent dans le réchauffement climatique, on est plutôt dans la dystopie. Là, on voulait aussi dire qu’on pouvait imaginer autrement et mieux l’avenir pour 2051. 

Guy Chautard, responsable environnement (agence de développement et d’urbanisme de Lille Métropole)

Respecter ce qui nous a été donné pour le transmettre à notre tour

« Alors voilà, là c’est le désert, explique le biologiste Marc-André Selosse en arpentant une parcelle de champ labourée. C’est le désert au sol, c’est le désert autour de moi. Je n’ai pas de plantes qui couvrent ce sol. Je n’ai rien qui nourrit les micro-organismes du sol. Le sol, il n’a jamais fonctionné découvert comme cela. C’est pour ça qu’il est moribond ici. C’est pareil, je n’ai pas de biodiversité autour, je ne vois pas d’arbres, pas de haies. C’est pour ça, d’ailleurs, que je suis en plein vent. Les haies sont une protection contre le dessèchement, la propagation des maladies (…). Ce sol qui file entre les doigts, c’est de la poudre de désastre, parce qu’on rajoute de l’eau dessus et ça fait une coulée de boue. Il n’y a pas de cohérence parce que, premièrement, il n’y a pas de plantes – ça vient d’être labouré – qui retiennent le sol. Deuxièmement, on ne met plus de matières organiques depuis longtemps, donc c’est pour cela que le sol est tout pâle. Et puis, troisièmement, comme on l’a travaillé, on a cassé le peu de structure qui restait et les morceaux sont prêts à partir s’il y a un peu d’eau ou de pluie. »
Notre seul véritable héritage, c’est cette terre sur laquelle nous vivons. À force de la malmener, d’en réduire sa biodiversité, d’en épuiser les ressources, nous mettons en péril ce que la nature nous a offert pendant des millénaires. Le changement climatique impose de revoir nos pratiques et nos habitudes, mais est-ce si facile à appliquer dans un monde gouverné par le profit et le rendement ?
Dans les Hauts-de-France comme ailleurs, les aléas météorologiques sont de plus en plus fréquents. Des inondations à répétition, des coulées de boue traversant champs, routes et villages, un mercure qui peine à redescendre lors des épisodes caniculaires dans le cœur des villes et une hausse des températures maritimes avec des répercussions sur l’écosystème dans son ensemble. Des solutions existent pour en atténuer les effets, pour permettre à chacun de vivre dignement de son métier. À condition que les pouvoirs publics s’entendent, que les revenus ou les aides soient à la hauteur des mesures environnementales demandées. 

On arrête le labour, et là tout de suite la vie du sol se redresse, l’érosion s’arrête. Deuxièmement, on amène de la matière organique. Du fumier par exemple. Cela veut dire aussi cultiver des plantes en hiver et les laisser pourrir au printemps. Cela va ramener de l’azote, du phosphate. Et cette matière organique dans le sol, elle va non seulement bien tenir le sol, mais retenir l’eau. En plus, cette matière organique, c’est du stockage de carbone, c’est bon pour le climat parce que c’est autant de CO2 qui n’est pas dans l’air. Donc, on voit que toutes ces solutions sont des solutions pour l’agriculture, mais aussi pour le climat, la santé. En fait, des fois, avec un geste, on fait plusieurs choses positives.

Marc-André Selosse, biologiste

Sale Temps pour la planète : Le Nord en surchauffe

Dans les Hauts-de-France, quand on prend de la hauteur, on aperçoit des champs, à perte de vue. Ils dessinent une mosaïque que Philippe Frutier, enfant du pays et photographe, n’a de cesse de survoler. Dans son regard, les agriculteurs se transforment en artistes et les terres agricoles expriment une poésie méconnue du plat pays du Nord et du Pas-de-Calais. Mais derrière certaines photos se niche une fragilité aiguë…
Vus du ciel, certains dessins affichent des balafres. Ce sont d’immenses coulées de boue qui traversent certaines parcelles. Une aubaine pour Philippe qui immortalise ces tableaux. Mais, fils de paysans, il sait aussi que ces formes sont une sonnette d’alarme d’une région victime du réchauffement planétaire, avec des canicules et des pluies diluviennes.
Le sol se dessèche et la terre, assoiffée, ne parvient plus à retenir l’eau de pluie quand celle-ci tombe en abondance. Les sols saturent, l’eau se mélange à la terre et se déverse en coulées de boue sur les routes et les champs, entraînant avec elle la terre arable… Un désastre quand on connaît la vulnérabilité de ces terres remembrées et dépourvues de haies et de végétation pour retenir l’eau. Il est urgent de repenser la façon dont l’homme cultive la terre. Certains agriculteurs font le choix de la permaculture, qui permet de régénérer les sols, ou encore passent en agriculture bio et diversifiée, une façon d’éviter la monoculture et de préserver toute la richesse du sol. En mer, aussi, la situation est préoccupante et les pêcheurs doivent s’adapter. L’âge d’or de la pêche à la morue et du port de Dunkerque est bien révolu. Aujourd’hui, les bateaux réalisent quelques prises de crevettes, et encore… La température de la mer du Nord a augmenté de 1,5 °C depuis les années 1960. Résultat, la biodiversité marine migre vers des zones plus froides et les filets des pêcheurs locaux se vident progressivement.
Plus loin, en zone urbaine, en période de canicule, l’asphalte et les bâtiments en briques chauffent jusqu’à 70 °C ! La ville se transforme alors en une énorme fournaise parfois meurtrière pour les populations les plus vulnérables…

Documentaire (inédit) – Réalisation Morad Aït-Habbouche – Compositeur Nicolas Mingot – Production Elle Est Pas Belle La Vie ! et MAH Production, avec la participation de France Télévisions et du Centre National du Cinéma et de l’Image animée

Ce documentaire est diffusé lundi 5 février à 21.05 sur France 5
Sale Temps pour la planète : Le Nord en surchauffe est à voir et revoir sur france.tv

Pour aller plus loin. Bande-annonce Paysans du ciel à la terre (film documentaire de Philippe Frutier)