« L’Armée des ombres » et « Joseph Kessel, la mallette de l’ogre »

Soirée spéciale Joseph Kessel

France 5

Cinéma

Peu d’individus auront à ce point embrassé le XXe siècle. France 5 consacre une soirée à Joseph Kessel, aventurier, écrivain, reporter et témoin de son temps. Après l’adaptation pour le cinéma de son roman « L’Armée des ombres », réalisée en 1969 par Jean-Pierre Melville, le documentaire de Patrick de Saint-Exupéry égrène avec affection et empathie les éclats de mille vies en une. Vendredi 28 novembre à partir de 21.10 sur France 5.

« L’Armée des ombres ». © 1969 StudioCanal / Fono Roma

En 1943, Joseph Kessel est à Londres. Dès l’invasion allemande, l’écrivain a repris le costume de correspondant de guerre qu’il avait déjà revêtu quelques années plus tôt en Espagne. Écœuré par l’armistice, il se tourne vers la Résistance. Son réseau démantelé, il n’a qu’une idée en tête : rejoindre la France libre. Et se battre encore. Mais il a 45 ans, tout de même. Le général de Gaulle le reçoit – Kessel n’est pas le premier venu, il a été un des plus talentueux et des plus célèbres journalistes français de l’entre-deux-guerres, avant de devenir un écrivain à succès. Il veut être utile ? Eh bien qu’il écrive « quelque chose sur la Résistance », qu’il raconte au monde ce que c’est.
Au Petit Club français, le bar où se réunissent à Londres, entre deux missions, les résistants français, Kessel noue des liens, interroge, écoute les témoignages, prend des notes… À la demande d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie, chef du mouvement Libération, qui souhaite un hymne pour la Résistance, et inspiré par une mélodie sifflée un soir par la chanteuse russe Anna Marly (Anna Betoulinskaïa), il commence à écrire avec Maurice Druon, le fils naturel de son frère Lazare, les paroles de ce qui deviendra Le Chant des partisans. « Un peuple qui n’a pas de chanson est un peuple qui ne peut pas se battre », dira-t-il. La sienne sera bientôt larguée par les avions alliés sous forme de tracts dans toute la France et deviendra l’un des signes de ralliement des combattants clandestins. L’Armée des ombres, qui est publié la même année chez Charlot à Alger – puis en 1944 par Pantheon Books à New York – et qui, dira-t-il, est le « roman » qui lui a le plus coûté d’efforts, est de la même encre : noire et sans pathos. Si les noms sont inventés, tout y est vrai, affirme-t-il. C’est le récit âpre de quelques histoires individuelles et d’un héroïsme sans discours et sans illusion, quotidien et glaçant.
À Londres, le livre de Kessel est lu dès sa parution par un certain Jean-Pierre Grumbach, qui se fait appeler Melville dans la résistance, en hommage à l’auteur de Moby Dick, et qui participera bientôt au débarquement allié en Provence… Devenu cinéaste, Jean-Pierre Melville se souviendra longtemps de cette lecture. « C’est un morceau de ma chair que j’ai porté en moi vingt-cinq ans et quatorze mois exactement », dira-t-il en 1969, à la sortie du film. L’Armée des ombres n’aurait pu tomber entre de meilleures mains. On retrouve dans l’adaptation le ton funèbre et le refus de l’emphase qui caractérisaient le roman. C’est sans doute le plus beau film de Melville et certainement le plus juste jamais réalisé sur la Résistance.

Joseph Kessel, la mallette de l'ogre
« Joseph Kessel, la mallette de l'ogre ».
© 13Prods

Celui, donc, qui a fait du réel une matière de roman et de sa propre vie une épopée, c’est « Jef », comme on le surnomme souvent dès les années 1920. Jef, le juif russe (né en Argentine, élevé en Russie, à Nice, à Paris…), pionnier de l’aviation en 14-18, « roi des princes du reportage », romancier, combattant de deux guerres, témoin de quelques autres, joueur, poète, amateur de cabarets, noceur, bourlingueur, membre de l’Académie française. Mille vies en une, un appétit d’ogre. Pour le voyage, l’aventure, l’alcool, la fête, les femmes, la vie. Pour son époque, dont il s’est fait le scribe.
C’est cette existence hors norme que l’écrivain-reporter Patrick de Saint-Exupéry, à l’aide d’archives des quatre coins du monde, des récits, articles ou fictions de Kessel, mais aussi d’extraits d’un entretien télévisé, tente de retracer en égrenant les objets souvenirs tirés d’une mallette dont on ne sait trop si elle est réelle ou fictive – le procédé, en tout cas, est assez poétique –, offerte à Kessel par sa première épouse, Sandi, morte de la tuberculose en 1928. Une mallette de voyage au cuir râpé qui s’envola avec les pionniers de l’Aéropostale, fut bâtée sur les chameaux du désert djiboutien, traversa la guerre civile espagnole et la Seconde Guerre mondiale, qui renferma le visa n° 1 de l’État d’Israël tout juste né, qui connut la savane kenyane, la moiteur birmane, le vertige des hautes montagnes d’Afghanistan… Une mallette bien lourde à porter au soir d’une telle vie mais qui reste le plus précieux bagage du nomade, la dernière et la plus intime maison d’un éternel déraciné. Au-delà de la biographie, Saint-Exupéry signe un hommage vibrant à la liberté, à l’aventure et à l’engagement.

21.05 : L’Armée des ombres

1942. La France occupée. Dénoncé par un traître, un résistant est interné dans un camp. Il s’évade et rejoint les membres de son réseau. De victime, il doit devenir bourreau et tuer le mouchard. Mais la lutte continue : une résistante tombe aux mains de la Gestapo. Craignant qu’elle ne parle pour sauver sa fille, ses compagnons décident de l’exécuter.

Film (140 min – 1969) – Réalisation Jean-Pierre Melville – Scénario Jean-Pierre Melville – D’après le roman de Joseph Kessel
Avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel, Simone Signoret, Claude Mann, Paul Crauchet, Christian Barbier, Serge Reggiani
Disponible pendant 7 jours sur france.tv

23.20 : Joseph Kessel, la mallette de l’ogre

Documentaire (62 min – 2025 – inédit) – Réalisation Patrick de Saint-Exupéry – Production 13Prods

Diffusion vendredi 28 novembre sur France 5
À voir et à revoir sur france.tv

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Publié le 14 novembre 2025