Presque tout le monde en Amérique a été touché par l’addiction aux opioïdes : frères, sœurs, familles, tout le monde souffre. Aux États-Unis, on compte plus d’un million de morts liés à cette drogue.
Paul Pelletier, chargé du crime d’entreprise au ministère de la Justice
Aujourd’hui, certaines rues des grandes villes américaines sont hantées par des zombies sous l'emprise d’un cocktail létal à base de fentanyl. Le nouveau président Trump incrimine les cartels latino-américains. Pourtant, tout a commencé légalement aux États-Unis, il y a trente ans…
Grâceà des entretiens inédits et des archives exclusives, les deux épisodes de cette série de Paul Moreira (Planet Killers) racontent comment est née la crise des opioïdes et de quelle façon elle continue de ravager une partie de la population américaine.
Épisode 1 : Le cartel de la douleur
« On mentait aux médecins sans savoir qu’on leur mentait… il faut vivre avec ça après. » Steeve May, ex-commercial Purdue Pharma
Au mitan des années 1990, une famille, les Sackler, à la tête de Purdue Pharma, lance l’Oxycontin, un puissant opioïde. Anti-douleurs issus de l’opium, « les opioïdes sont très proches de l’héroïne », explique le chercheur Andrew Kolodny.
Pour toucher le maximum de patients, les dirigeants de l’entreprise pharmaceutique lâchent alors des centaines de représentants de commerce notamment sur les médecins des régions les plus fragiles, comme en Virginie-Occidentale, à Clarksburg, ville sinistrée par la fermeture des usines et des mines.
Paul Moreira y a rencontré le Dr Louis Ortenzio. Pendant des années, il prescrit de l’Oxycontin et empoisonne la population de sa ville. Certains représentants de commerce devenus lanceurs d’alerte racontent comment ils mentaient aux médecins, leur assurant que l’Oxy n’est pas addictif, invoquant un concept de « pseudo-dépendance », inventé par l’entreprise pharmaceutique avec le concours d’un scientifique, payé par leurs soins. « Parfois ils étaient vingt par jour… ils essayaient de devenir nos amis… ils étaient sincères, du moins ils en avaient l’air. » Le Dr Ortenzio finira par tomber lui-même dans l’addiction. « La sensation de manque est vraiment terrible… On perd tout jugement et tout sens moral. J’étais un toxicomane et je traitais des toxicomanes. »
La machine à intoxiquer a rendu accrocs des millions d’Américains. « J’ai eu dix-neuf amis qui sont morts l’année dernière, témoigne Rocco, toxico. Les opioïdes, c’est la pire chose qui soit arrivée ici. Ils détruisent notre pays, ça détruit des gens bien, des familles. »

Il faut vite gagner de l’argent avant d’être mis sur la paille par la justice.
David Sackler, dirigeant de Purdue Pharma
Mais, en 2006, des procureurs s’emparent des dossiers transmis par les lanceurs d’alerte de plus en plus nombreux – comme Maura Healey, aujourd’hui gouverneure du Massachussets – qui racontent leur combat pour arrêter Purdue et amener les Sacklers en justice. « En vingt-cinq ans au ministère de la Justice, se souvient Paul Pelletier, chargé du crime d’entreprise, je n’avais jamais vu un rapport aussi long. Il était bourré de preuves. »
Grâce aux témoignages exceptionnels de magistrats et d’insiders, ainsi qu’à des archives vidéo exceptionnelles issues du dossier d’accusation, le film raconte dans le détail comment la famille Sackler a corrompu les régulateurs – la Food Drug Administration (FDA), l’équivalent de notre ANSES – pour imposer l’Oxy et a réussi à échapper à la justice malgré des preuves patentes de corruption. Ils n’iront pas devant la justice. Juste avant la procédure, « il s’est alors passé quelque chose de très étrange… ».
Rudy Giuliani, l’avocat de Purdue Pharma et prétendant à la campagne présidentielle, négocie des accords à l’amiable. « C’est l’influence de l’argent qui a triomphé ! Un avocat riche au service d’une entreprise puissante. »
Au cours de leurs enquêtes, les procureurs vont également découvrir que Purdue recevait secrètement l’aide de McKinsey, la firme qui conseille les puissants de ce monde, ainsi que celle de la filiale américaine d’une agence de publicité française, Publicis.
Un médecin toulousain témoigne de la stratégie des Sackler et leur multinationale MundiPharma en Europe. Elle aura finalement échoué.

Épisode 2 : La ruée vers l’or
« Les toxicos, ça nous a rapporté beaucoup d’argent, ça c’est sûr ! » Alec Burlakoff, vice-président d’Insys
La fortune de Purdue fait des envieux. Des dizaines de laboratoires pharmaceutiques se lancent dans la mêlée. Parmi eux, Insys. Les moins scrupuleux. Ils vendent du fentanyl, cinquante fois plus addictif et dangereux que l’héroïne. Pour cela, toutes les méthodes sont permises : strip-teaseuses pour séduire les médecins, fraudes aux assurances, augmentation massive des dosages sans l’accord des patients, jusqu’à ce que certains d’entre eux décèdent. Alec Burlakoff, le vice-président d’Insys, nous parle sans détour.
En Floride, des dizaines de petits malins créent des cliniques de la douleur. Ce sont en fait des centres de deal légal qu’on appelle « les usines à pilules ». Le patron du réseau le plus important, Chris George, nous raconte avec cynisme le système qui l’a rendu riche, après avoir purgé une peine de onze ans de prison.
En 2016, la fête est finie, la justice met fin au deal légal. On ne peut plus acheter de la drogue en pharmacie. Mais les pilules sont toujours dans la rue. Les cartels mexicains ont pris le relais. Nous rencontrons des membres du cartel de Sinaloa qui nous expliquent comment ils se sont mis à imiter les multinationales du médicament américaines. Jusqu’à aujourd’hui, ils continuent de noyer les rues américaines sous le fentanyl.
Le Monde en face : Opioïdes, business & addiction

Présentation Aurélie Casse
Série documentaire (2 x 52 min – inédit) – Réalisation Paul Moreira – Production Premières Lignes Télévisions, avec la participation de France Télévisions
Opioïdes, business & addiction est diffusé dans Le Monde en face dimanche 19 octobre à 21.05 sur France 5
À (re-)voir sur france.tv