« Nos frangins »

Les deux morts de la nuit du 5 décembre 1986

France 4

Cinéma

En 2022, trente-six ans après les faits, Rachid Bouchareb et sa coscénariste Kaouther Adimi évoquaient l’affaire Malik Oussekine en la reliant au meurtre d’Abdel Benyahia. Racisme, violences policières et raison d’État avec Samir Guesmi, Reda Kateb, Lyna Khoudri, Raphaël Personnaz, etc. Jeudi 18 septembre à 21.00 sur France 4.

« Nos frangins » : bande-annonce

Cet hiver-là, une partie de la jeunesse française était dans la rue pour s’opposer au projet de loi réformant les universités proposé par le ministre de la Recherche et l’Enseignement supérieur, Alain Devaquet. Plus encore que celle du 27 novembre, la manifestation nationale du jeudi 4 décembre s’annonce d’une ampleur inédite depuis des décennies. Débutée dans la bonne humeur, elle s’achève, après l’échec des négociations avec le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac, par des violences qui font de nombreux blessés, dont trois graves, parmi les manifestants. Le lendemain, alors qu’à Paris la Sorbonne est occupée, des « bataillons de voltigeurs motoportés » (une moto tout-terrain, un pilote, un passager armé d’un long bâton) sillonnent le Quartier latin, traquant les casseurs. Dans la nuit, un jeune homme est roué de coups par trois policiers dans le hall d’un immeuble, rue Monsieur-le-Prince. Il meurt dans la nuit.

« Nos frangins »
« Nos frangins ».
Guy Ferrandis © 3B Productions/Le Pacte/Wild Bunch International

Les premiers éléments transmis à la presse orientent – avec la formulation conditionnelle de rigueur – vers la piste d’un Libanais proche du mouvement phalangiste chrétien (l’époque est aux attentats liés à la situation politique au Moyen-Orient) : l’individu, en effet, transportait… une bible ! Mais Malik Oussekine était en fait un jeune Français de 22 ans, d’origine algérienne, dont on découvre opportunément qu’il souffrait d’une grave insuffisance rénale. Ce qui inspirera deux jours plus tard au ministre délégué à la Sécurité publique, Robert Pandraud, un commentaire jugé au mieux maladroit, au pire indigne : « Si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais de faire le con la nuit. » Cela restera pour les pouvoirs publics la ligne de défense de la police : Malik Oussekine est mort parce qu’il était malade. Une ligne de défense pourtant mise à mal par un témoin qui a ouvert la porte au jeune homme et raconte la sauvagerie d’un passage à tabac. Quant à « faire le con », le jeune homme, étudiant à Dauphine mais sans lien avec le mouvement de protestation, se contentait de rentrer chez lui après avoir passé la soirée dans un club de jazz…
Si Malik Oussekine est resté le symbole d’une époque pour toute une génération, on sait moins, ou plutôt on a oublié, qu’au cours de la même nuit, un autre jeune homme d’origine maghrébine était tué à Pantin, en banlieue parisienne, d’une balle dans le cœur par un policier. Abdel Benyahia avait 20 ans et tentait de s’interposer dans une bagarre. Le policier était en dehors de son service et très fortement alcoolisé. Les pouvoirs publics, craignant les effets d’une telle annonce dans un tel contexte, cachèrent pendant quarante-huit heures à sa famille et à la presse la mort du jeune homme et ses circonstances.

« Nos frangins »
« Nos frangins ».
Guy Ferrandis © 3B Productions/Le Pacte/Wild Bunch International

Pour le réalisateur Rachid Bouchareb et l’écrivaine Kaouther Adimi, qui cosigne avec lui le scénario de Nos frangins, il était évidemment impossible de ne pas lier les deux drames qui, entre cynisme politique, diverses nuances de racisme, différences sociologiques et raison d’État, dessinent une certaine image de la France du milieu des années 1980. Côté Oussekine, le centre de Paris, une famille bien intégrée – le grand frère est entrepreneur, la sœur sort avec un policier, Malik lui-même songe à se convertir au catholicisme, voire à devenir prêtre –, côté Benyahia, la banlieue, un père garagiste, modeste, discret, à qui on a appris que la police et la justice n’étaient pas de son côté. Un même destin, pourtant – et à ce titre, on a oublié aussi la seconde partie des propos du ministre Pandraud, presque pire que la première : « Malik n’a jamais pu passer son bachot. Il est allé à l’école de tous les ratés de la bourgeoisie. Ce n’était pas le héros des étudiants français qu’on a dit » –, mais une inscription cependant différente dans la mémoire collective. « Malik porte un nom. […] Il y a eu beaucoup de morts avant lui, mais ces morts n’avaient pas de nom. Peut-on citer une seule victime du massacre du 17 octobre 1961 ? » (Rachid Bouchareb).
De quoi, alors, Malik Oussekine est-il le nom ? La fin du film laisse matière à réflexion. Si le meurtrier d’Abdel – car ce fut bien un meurtre, perpétré par un policier en dehors de son service – a été condamné à huit ans de prison ferme (il en a effectué quatre), la mort de Malik Oussekine, qui fut une véritable bavure policière, accomplie par des représentants de l’État dans l’exercice de leur fonction, s’est soldée par une mise à la retraite et des peines de prison avec sursis…

Nos frangins

Film cinéma (87 min – 2022 – inédit) – Réalisation Rachid Bouchareb – Scénario Rachid Bouchareb et Kaouther Adimi – Production 3B Production – Coproduction France 2 Cinéma

Avec Samir Guesmi, Reda Kateb, Lyna Khoudri, Raphaël Personnaz, Laïs Salameh, Gérard Watkins, Wabinle Nabie...

Diffusion jeudi 18 septembre à 21.00 sur France 4
À voir et à revoir pendant sept jours sur france.tv

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Publié par Christophe Kechroud-Gibassier le 14 septembre 2025