Après treize années de fermeture et un chantier de rénovation hors norme, la stupéfiante maison de Pierre Loti à Rochefort, sur la rive droite de la Charente, « dans le coin le plus tranquille de la plus ordinaire des petites villes », a rouvert ses portes en juin dernier. Voilà une invitation à redécouvrir la vie romanesque de cet incontournable écrivain voyageur, l’un des auteurs les plus lus et traduits de son époque, au tournant du XIXe et du XXe siècle.
Cette demeure est en effet une sorte de maison-livre, entre journal intime et carnet de voyages, extravagante et onirique, peuplée des souvenirs d’une vie d’aventures et des fantômes de ses amours défuntes. La pagode japonaise, la salle gothique, le salon turc, la mosquée, etc., dessinent en miniature le monde à la fois réel et imaginaire qui fut celui de Pierre Loti, dont l’épicentre se situait à Constantinople, future Istanbul, la ville adorée.
Né en 1850 au sein d’une famille bourgeoise et protestante, engagé dans la marine dès l’âge de 17 ans, et bientôt officier, Julien Viaud sillonne le monde au gré de ses affectations et de ses missions (l’île de Pâques, la Polynésie, le Sénégal, la Perse, l’Algérie, le Japon, la Chine, Angkor, la Vallée du Nil, Ispahan...) Tour à tour militaire, diplomate, observateur, écrivain, dessinateur et photographe, il laisse une œuvre singulière, signée Pierre Loti – un nom qui lui fut donné par une reine polynésienne –, entre autobiographie et fiction, nourrie d’amours impossibles et d’une fascination profonde pour la diversité des peuples et de cultures.
Qui me rendra ma vie d’Orient, ma vie libre et en plein air, mes longues promenades sans but, et le tapage de Stamboul ? Partir le matin de l’Atmeïdan, pour aboutir la nuit à Eyoub ; faire, un chapelet à la main, la tournée des mosquées ; s’arrêter à tous les cafedjis, aux turbés, aux mausolées, aux bains et sur les places ; boire le café de Turquie dans les microscopiques tasses bleues à pied de cuivre ; s’asseoir au soleil, et s’étourdir doucement à la fumée d’un narguilhé ; causer avec les derviches ou les passants ; être soi-même une partie de ce tableau plein de mouvement et de lumière ; être libre, insouciant et inconnu ; et penser qu’au logis la bien-aimée vous attendra le soir.
[...] Quand j’aurai quitté Stamboul, quand je serai loin d’elle pour toujours, longtemps encore j’entendrai la nuit la chanson d’Aziyadé.
Pierre Loti, « Aziyadé », 1879
Élu à 41 ans à l’Académie française, en 1891, Pierre Loti demeure une figure fascinante, excessive, paradoxale, ambivalente. Personnalité romantique et hédoniste, il est à la fois complexé par sa petite taille mais narcissique, attiré par les femmes orientales mais fasciné par la beauté masculine, tragique mais amateur de mises en scène ludiques et de fêtes (comme ce fameux dîner médiéval costumé qu’il organise en 1888 avec invitation et menu rédigés en vieux français). Orientaliste fervent – ce qui l’amène à s’intéresser à la religion musulmane –, il cherchera jusqu’en Terre Sainte à renouer avec la foi chrétienne de son enfance pour ne trouver que « l’effroi devant le vide indiscutable, absolu, éternel ».
Ses romans, notamment les plus célèbres, Aziyadé, Pêcheur d’Islande, Madame Chrysanthème ou Ramuntcho, sont de véritables best-sellers, traduits dans le monde entier, qui lui assurent une fortune considérable. S’ils ne sont pas dénués des stéréotypes racistes de son époque, d’une empathie à géométrie variable et d’une vision hiérarchisée des cultures, où domine cependant le monde arabo-musulman, leurs descriptions extrêmement détaillées tranchent sur la littérature exotique et coloniale de son temps et préfigurent même une certaine démarche ethnographique.
Enfin, Loti, ce n’est pas seulement l’appel de l’ailleurs : c’est aussi un enracinement profond dans les régions françaises chères à l’écrivain, de sa Charente-Maritime natale à la Bretagne, jusqu’au Pays basque où il finit ses jours, en 1923.
Le documentaire de Michel Viotte – coécrit avec Alain Quella-Villéger, spécialiste français de Loti –, propose une plongée au cœur de cette existence hors du commun. Il s’appuie sur les mots de Loti mais aussi sur de précieuses archives, souvent inédites, témoins des débuts de la photographie et du cinéma de voyage.
Le destin de Julien Viaud-Pierre Loti, à la croisée de l’art et de la carrière militaire, s’inscrit dans un tournant du XXe siècle marqué par l’expansion coloniale, l’essor des grandes marines, la circulation accrue des hommes et des idées et les débuts du tourisme. Du Caire à Pondichéry, de Constantinople aux confins de l’Asie et de l’Afrique, Pierre Loti fut le témoin privilégié d’un monde en mutation dont son œuvre porte l’empreinte.

Le monde selon Pierre Loti
Documentaire (2025 - inédit) – Durée 52 min – Réalisation Michel Viotte – Écrit par Michel Viotte et Alain Quella-Villéger – Narration Xavier Gallais – Production Les Films d’Ici Méditerranée, Les Films d’Ici – Avec la participation de France Télévisions, du CNC, du Ministère des Armées, Secrétariat général pour l'administration, Direction de la mémoire, de la culture et des archives, de la Procirep (Société des producteurs) et de l’Angoa
Diffusion vendredi 26 septembre à 22.35 sur France 5
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