Comme dans une série policière, il y a un constat, accablant, qui ressemble à un rapport de médecin légiste penché au-dessus d’un cadavre : en cinquante ans, la France s’est vidée, comme de son sang, de près de la moitié de ses usines et du tiers de ses emplois industriels. Aujourd’hui, les sociétés du Cac 40 sont détenues à 58 % par des investisseurs étrangers, réduisant d’autant la capacité du pays à piloter son industrie.
Les premiers symptômes apparaissent en 1976, après la crise du choc pétrolier de 1973 qui allait sceller la fin des Trente Glorieuses. « La France vit au-dessus de ses moyens », diagnostiquait alors le Premier ministre Raymond Barre. Désormais, la France est devenue, selon l’expression, « un pays qui ne sait plus fabriquer ce qu’il consomme », imposant avec force et passion — notamment depuis la pandémie de 2020 qui a révélé notre dépendance aux importations — la question de la « souveraineté industrielle » dans le débat public.
Alors, qui a tué l’industrie française ? Qui a liquidé ses emplois ? Qui a abandonné ses ouvriers ? Qui a oublié l’intérêt général ?
Comme dans une série policière, ce documentaire signé Ella Cerfontaine pour Le Monde en face mène l’enquête, formule des hypothèses, explore différentes pistes en interrogeant témoins, victimes et suspects pour tirer les leçons concrètes de cette révolution « désindustrielle ».
Il s’agit de transformer notre vieille France en un pays neuf et de lui faire épouser son temps. [...] Il nous faut ou bien accéder au rang d’un grand État industriel ou bien nous résigner au déclin.
Discours du général de Gaulle du 14 juin 1960
De Louis Gallois (ancien commissaire général à l’investissement du gouvernement Ayrault) aux ouvriers licenciés de Renault et GM&S, de Pascal Lamy (ancien directeur général de l’OMC) à Arnaud Montebourg (à la tête du bien nommé ministère du « Redressement productif » sous François Hollande), de la députée européenne Aurore Lalucq à l’ex-président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux, Qui a tué l’industrie française ? donne la parole à celles et ceux qui ont orchestré les grandes mutations de ces cinquante dernières années ou qui ont souffert de ses conséquences. Chaque témoignage apporte sa nuance, son analyse, sa colère (« La responsabilité de la vente d’Alstom aux Américains revient à messieurs Hollande et Macron », fustige Arnaud Montebourg), sa justification (« Je n’ai pas l’impression d’avoir participé à dépecer la France », se défend René Proglio, directeur de la banque d’affaires américaine Morgan Stanley, à la manœuvre pour la vente du cimentier français Lafarge au groupe suisse Holcim). Il en résulte un portrait composite d’une France qui s’est progressivement désarmée industriellement.
Le capitalisme a changé. Il y a des fonds [d’investissement] qui vont jouer avec un certain nombre d’usines [...]. C’est le règne de la cupidité.
Aurore Lalucq, députée européenne (groupe S&D) depuis 2019
En parcourant l’histoire de France par le prisme de son déclin industriel, le film résume cinquante ans de néolibéralisme, traversant les crises mondiales depuis l’après-guerre et révélant les failles d’un système de plus en plus soumis à une vision de profit à court terme.
Décisions politiques, stratégies patronales, progrès techniques ou mouvements de fond des transformations sociales : Qui a tué l’industrie française ? dresse ainsi le bilan de nos responsabilités collectives et de nos choix de société (de consommation). Au pied du cadavre de l’industrie française, la liste des potentiels suspects est longue : politiques libérales sous Giscard dans les années 1970, « tournant de la rigueur » sous François Mitterrand en 1983, chute de l’Union soviétique ouvrant la voie au capitalisme triomphant au tournant des années 1990, externalisations massives et règne des patrons prônant le fabless (entreprises sans usine) au début des années 2000, puis, ces vingt dernières années, bascule du pouvoir de décision vers des actionnaires avides de rentabilité immédiate et influence des cabinets de conseil anglo-saxons orchestrant la vente à la découpe de nombreux fleurons industriels français (Alstom, Lafarge, Arcelor, Pechiney, Sanofi)…
Le monde en face : Qui a tué l’industrie française ?
En cinquante ans, la France s’est vidée de près de la moitié de ses usines et du tiers de son emploi industriel. Contrairement aux idées reçues, cette désindustrialisation n’est pas « tombée du ciel » comme une catastrophe naturelle inévitable. Elle résulte de choix politiques, de stratégies patronales et de transformations sociétales dont nous sommes collectivement responsables. Qui a tué l’industrie française ? mène l’enquête sur cette mutation majeure de notre économie et de notre société.
Construit comme une véritable investigation, ce documentaire remonte les pistes, interroge les témoins directs et confronte les suspects potentiels de ce « meurtre industriel » : les politiques libérales de l’ère Giscard, les virages économiques du mitterrandisme, les patrons champions du « fabless », la mondialisation, les actionnaires exigeant toujours plus de rentabilité immédiate, les cabinets de conseil anglo-saxons et leur vision court-termiste…
De Louis Gallois à Arnaud Montebourg, des ouvriers de Renault et GM&S à Pascal Lamy, le film donne la parole à ceux qui ont orchestré, subi ou analysé cette révolution désindustrielle. Chaque témoignage dessine un peu plus clairement le tableau d’une France qui s’est progressivement désarmée industriellement.
À l’heure où la souveraineté industrielle revient au cœur des préoccupations nationales, ce documentaire propose une autopsie nécessaire pour comprendre comment la France est devenue « un pays qui ne sait plus fabriquer ce qu’il consomme » et quelles leçons concrètes en tirer pour reconstruire notre appareil productif.
Documentaire (inédit – 70 min – 2025) – Présentation Mélanie Taravant – Réalisation Ella Cerfontaine – Production L’Infinie Comédie – Avec la participation de France Télévisions
Le Monde en face : Qui a tué l’industrie française ?, diffusé dimanche 25 mai à 21.05 sur France 5, est à (re)voir sur france.tv