Dans les affaires de violence sexuelle intrafamiliale, la parole des enfants demeure fragile face à la justice, qui la considère encore trop souvent comme pouvant être manipulée par les mères. Pourquoi cette défiance à l’égard des mères et des enfants ? Ce bon vieux patriarcat ? Sans doute… Mais, selon Pascal Cussigh*, avocat au barreau de Paris et président de CDP enfance, il semblerait qu’à l’origine de cette distorsion il y ait également un psychologue, Hubert Van Gijseghem, adepte du syndrome de l’aliénation parentale, qui est intervenu à l’École de la magistrature pendant plusieurs années. Celui-ci défend que, dans la majorité des cas, les enfants seraient sous l’emprise de leur mère. Il en découle que, dans un grand nombre de dossiers, les magistrats utilisent cette théorie comme une vérité et l’appliquent malgré les témoignages et les preuves flagrantes de violences sexuelles commises sur mineur par personne ayant autorité parentale.
Si elles [les femmes] révèlent les violences que les enfants ont exprimés, elles risquent de tout perdre ; d’aller en prison ; de perdre la garde des enfants. Si elles ne disent rien, c’est la même chose.
Édouard Durand, juge des enfants et ex-coprésident de la Ciivise**
La parole de ces femmes non entendues par la justice résonne dans ce documentaire comme des coups de poing. Ces mères se retrouvent face à un choix impossible : remettre leur enfant à leur agresseur ou se mettre hors-la-loi, parfois au péril de leur vie, afin d’assurer leur sécurité.
Aux côtés de Pauline Rongier, avocate experte des affaires de violences faites aux femmes et aux enfants, et d’Édouard Durand, juge des enfants et ancien coprésident de la Ciivise**, nous suivons le parcours personnel et judiciaire de trois mères qui se retrouvent toutes face à ce choix impossible.
Johanna Bedeau, réalisatrice
« La question des violences, qu’elles soient intrafamiliales, conjugales, sociétales ou institutionnelles, est au cœur de mon travail et du combat que je mène pour leur faire une place dans le débat public. C’est ce qui m’anime et m’a conduite à vouloir faire ce film.
J’ai été sidérée, au cours de mes enquêtes, par le nombre de mères qui portent plainte pour faire reconnaître la parole de leur enfant abusé et qui se retrouvent dépossédées, du jour au lendemain, à la fois de leurs droits parentaux et de leur liberté.
Les similitudes dans leurs histoires m’interpellent, me questionnent. Derrière l’euphémisme “erreur judiciaire” se révèlent les paradoxes et les limites d’un système défaillant qui aggrave les violences qu’il était censé prévenir. Au point de rendre les mères parfois complices malgré elles des crimes incestueux perpétués, sous peine de se voir définitivement retirer la garde de leur enfant.
C’est pour faire entendre la voix de toutes ces femmes et de leurs enfants que nous avons souhaité faire ce film. Et en particulier celles de Virginie, de Cynthia et de Pauline.
Obligées de braver les interdits judiciaires, malmenées, maltraitées, “traitées en folles ou en hystériques”, ces mères en lutte essaient de tenir face aux délais impensables, et au silence de la justice.
C’est à travers elles, à travers leur regard, leur force, leur vitalité, malgré les souffrances endurées, que nous voulons faire reconnaître les impacts d’une violence invisible qui n’est toujours pas entendue et prise en compte. »
Finalement, ce n’est plus le père qui me fait peur, c’est le système judiciaire.
Virginie, une mère
* Conférence de presse « Inceste et dysfonctionnement judiciaire », juin 2023.
** Ciivise : Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Cette commission débute en mars 2021. La quasi-totalité des messages qui ont été adressés à la Ciivise sont des appels à l’aide de la part de mères, très majoritairement, dont l’enfant a révélé des violences sexuelles de la part de son père. Ces mères se retrouvent mises en cause et accusées d’avoir manipulé leur enfant, le plus souvent dans un contexte de séparation. Le rapport final de la Ciivise (nov. 2023) comporte 82 préconisations, dont l’immunité pénale pour les personnes qui souhaitent protéger leurs enfants devant la justice.
On peut protéger l’enfant sans porter atteinte à la présomption d’innocence.
Pauline Rongier, avocate
Le 19 janvier 2024, plusieurs expertes indépendantes mandatées par l’ONU ont appelé la France à « agir de toute urgence » pour protéger les enfants contre l’inceste et les abus sexuels. Elles dénoncent les « traitements discriminatoires » subis par les mères qui dénoncent ces violences.
Selon ces expertes, la France ne protège pas suffisamment les enfants. Les principes de précaution et l’intérêt supérieur de l’enfant ne sont pas toujours respectés. Malgré des allégations crédibles d’abus incestueux, les mères restent exposées et leurs enfants vulnérables.
Numéro d’appel dédié à l’enfance en danger : 119
Associations
- EVA : soutien aux victimes d’inceste et violence sexuelle (Nantes)
- Face à l’inceste : l’association lance un appel à signature pour la protection immédiate des enfants (Paris)
Chiffres en France
- 1 enfant est agressé sexuellement toutes les 3 minutes
- 160 000 enfants sont victimes d’agression sexuelle chaque année
- 5,4 millions d’adultes déclarent avoir subi une agression sexuelle enfant (8 sur 10 sont des femmes)
- 1 victime « incestuée » sur 4 a moins de 5 ans au moment des faits

Infrarouge : Mères en lutte
Présentation Marie Portolano — Un film écrit et réalisé par Johanna Bedeau
— Musique Malik Djoudi — Production 416 Prod — Production déléguée
Mélissa Theuriau
— Production exécutive
Léa Huitorel — Avec le soutien du CNC et de la Région Île-de-France
— Avec la participation de France Télévisions
Infrarouge : Mères en lutte est diffusé mercredi 8 octobre à 22.55 sur France 2
À (re)voir sur france.tv