Nous avons survécu aux Vikings, nous avons survécu aux Danois, nous survivrons à tout ce qui nous attend.
Ole Frede Dorph, pêcheur et chasseur
En janvier 2025, le « Trump Force One » se pose à Nuuk, capitale glacée du Groenland. Le fils du président, Donald Trump Junior, vient y vendre le rêve MAGA. Quelques heures plus tard, le président Donald Trump inaugure son second mandat en menaçant d’annexer le territoire danois « pour la sécurité nationale ». Un large mouvement de protestation s’étend parmi la population.
Avec la fonte inexorable des glaces, la position stratégique du Groenland dans l’Arctique aiguise les rivalités entre les empires russes, chinois et américains pour le contrôle des futures routes commerciales du Grand Nord. Sous la banquise, un trésor, les terres rares, indispensables à la technologie et à la défense, attise la fièvre extractiviste.
Espace, IA, crypto : je pense que le Groenland va devenir un des leaders mondiaux pour toutes ces technologies.
Drew Horn, homme d’affaires américain

« L’intérêt américain pour le Groenland remonte à très loin dans le temps », rappelle l’historien américain Ronald Doel. Il y eut le premier conquérant : Robert Peary, qui le premier atteint le pôle Nord avec l’Afro-Américain Matthew Henson. Celui-ci est resté parmi les Inuits : « Il a été adopté, il était l’un des leurs… » se souviennent aujourd’hui ses descendants.
Après l’achat de l’Alaska en 1867 par les États-Unis, le Groenland s’impose aux Américains comme une « continuité géographique » logique. À trois reprises, au XXe siècle, ils tenteront d’en faire l’acquisition, mais Donald Trump est le premier à « vouloir tenter de s’en emparer par la force ». Colonisé par le Danemark depuis 1721, le Groenland est devenu une province danoise en 1953, puis un territoire autonome suite au référendum de 1979, mais dépend encore en majorité des subsides danois. « C’était la décision de nos grands-parents », admet, fataliste, Aqqaluk Lynge, homme politique groenlandais et poète. Aujourd’hui, le mouvement pour l’indépendance emporte l’adhésion de la plupart des habitants, surtout depuis mars 2025, rappelle Naaja Nathanielsen, ministre des Ressources naturelles, lorsque Trump, devant le Congrès américain, « tourne notre démocratie en ridicule ». Pour tenter d’apaiser le ressentiment, le vice-président se rend sur place en mars mais reçoit un accueil glacial. « La visite de Vance a été perçue comme une manœuvre politique qui n’a pas été appréciée. »
Les Danois exploitent tout ce qu’ils peuvent prendre au Groenland et, en fin de compte, qu’est-ce qui profite à notre communauté ?
Ole Frede Dorph, pêcheur et chasseur
Longtemps le Danemark fut l’oppresseur. « Nous sommes une puissance coloniale, reconnaît Martin Lidegaard, l’ex-ministre danois des Affaires étrangères (2014-2015), il n’y a jamais eu de lien naturel entre le Danemark et le Groenland. » La politique d’assimilation du gouvernement danois, à rebours de la vague de décolonisations au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a transformé la société groenlandaise en une société européenne industrialisée.
Aujourd’hui, face aux menaces d’invasion et aux critiques du vice-président américain, la défense danoise – responsable de la sécurité sur le territoire groenlandais – a renforcé sa vigilance et la présence de forces spéciales.
Car Poutine a réouvert ses bases militaires au nord de la Russie pour préparer le contrôle des futures routes commerciales entre l’Europe et la Chine. Et tente des incursions sur le sol groenlandais. Mais le climat hostile et les conditions de survie en zone inhabitée avantagent les militaires aguerris. « Malgré toutes les technologies disponibles, souligne ce membre de la patrouille danoise Sirius, le fait d’avoir des troupes au sol est le seul moyen d’affirmer sa souveraineté sur ce territoire. »
La glace était si épaisse qu’on pouvait y aller avec les chiens de traîneau : ça n’est plus possible aujourd’hui.
Ole Frede Dorph, pêcheur et chasseur
Dans les années 1950, à Thulé – d’où était partie l’expédition de Robert Peary –, la construction d’une base militaire américaine a entraîné l’expulsion des habitants. On découvrira qu’on y cachait sous la glace, dans le plus grand secret, des centaines d’ogives nucléaires. Plus tard, des Inuits – tel un des petits-fils de Matthew Henson – appelés à la rescousse par l’armée américaine, après un accident d’avion militaire qui transportait des armes atomiques, mourront des contaminations radioactives. La fonte des glaces pourrait réactiver cette pollution abandonnée sur place.
Aujourd’hui, les Américains envoient des hommes d’affaires pour explorer et identifier les meilleurs gisements de nickel, cobalt et cuivre, indispensables notamment à la fabrication de véhicules électriques : les fameuses terres rares. Sur celles déjà acquises, l’exploitation se prépare, et le gouvernement américain fait miroiter les retombées économiques pour la grande île. Pourtant, la plupart des Groenlandais sont bien déterminés à ne pas se laisser envahir. « Nous sommes les gardiens de notre terre, clame l’activiste Ivaaq Poulsen, elle nous a été léguée. »
Longtemps victimes de discriminations, les Groenlandais voient désormais leur colonisateur se préoccuper de leur sort. En septembre 2025, le Danemark a présenté des excuses officielles envers les milliers de femmes groenlandaises devenues infertiles à cause des stérilets qu’on leur avait placés de force dans les années 1960.
Entre promesses de richesse et menaces sur leur mode de vie bouleversé par la fonte des glaces, les Inuits cherchent à reprendre la maîtrise de leur destin.
Je pense que nous assistons à un changement dans la société groenlandaise : nous n’avons plus peur de nous exprimer en notre nom... La menace d’annexion de Trump a été la goutte d’eau qui a tout fait basculer.
Najannguqa Hegelund, activiste
Le Monde en face
Groenland : Annexe-moi si tu peux

Documentaire (inédit – 52 min – 2025) – Réalisation Walid Berrissoul – Production Maximal Productions, avec la participation de France Télévisions
Groenland : Annexe-moi si tu peux est diffusé dans Le Monde en face dimanche 7 décembre à 21.05 sur France 5
À voir dès le vendredi 5 décembre sur france.tv