« Face à l’Histoire : Louis-Ferdinand Céline, le voyage sans retour »

« Tous les autres sont coupables, pas moi ! »

France 5

Documentaires

Génie littéraire ou propagandiste antisémite et pro-nazi ? Les deux, sans doute. Le parcours de Céline pose la question de la responsabilité de l’artiste dans la société. Grâce aux meilleurs spécialistes de l’écrivain et à de nombreuses archives, la nouvelle série documentaire de Fabrice Collin tente de comprendre le rôle qu’a joué ce grand mystificateur dans la France occupée et la place qu’il a prise dans notre mémoire et notre panthéon littéraire. Dimanche 14 décembre à 21.05 sur France 5.

« Face à l'Histoire : Louis-Ferdinand Céline, le voyage sans retour ». © Gallica / Bibliothèque nationale de France

Depuis son entrée fracassante dans les lettres françaises, en 1932, avec Voyage au bout de la nuit, jusqu’à la découverte récente et fort médiatisée de certains de ses manuscrits qu’on croyait perdus, et malgré un long purgatoire, Louis-Ferdinand Céline est devenu une figure littéraire majeure, nationale et internationale, et son œuvre un durable succès de librairie. Il fut aussi un homme profondément raciste, et même un antisémite furieux favorable aux nazis et appelant, dans une logorrhée délirante, au meurtre des « youpins », des « youtres », des « enjuivés » et autres « enculés de juifs ».
Les admirateurs – de droite comme de gauche – du grand écrivain tentent depuis des lustres de minimiser la portée de ses pamphlets antisémites et de son action politique sous l’Occupation. Avec un certain succès, du reste, si l’on considère que les faits avérés et indéniables n’ont pas empêché la construction de ce véritable monument national. Dès les années 1960, l’écrivain d’extrême droite Lucien Combelle déclarait Céline « une cathédrale qu’on prend en entier » – y compris apologie du fascisme, donc. Mais la palme revient sans doute à Philippe Sollers (ex-maoïste) qui, au début des années 1990, après avoir appelé à la rescousse le pauvre Gustave Flaubert, pour le coup peu convaincant – « Est moral ce qui est beau » –, concluait tout de go : « Si on dit que Céline est un grand écrivain, on doit presque automatiquement dire que c’est moral aussi. » Mieux inspiré, Alexandre Vialatte – peu susceptible de sympathie à l’égard de l’homme – évoquait, à la mort de Céline, un bâtisseur de « Parthénons en crottes de chien ». « Céline, à l’horizon de la littérature, laisse de hauts châteaux d’ordures qui se détachent sur un ciel d’orage et qui attireront longtemps le regard. Ses paysages plus grands que nature se mirent dans un fleuve d’immondices. C’est un géant qui promène ses rêves dans un égout. »

21.05 « Le virtuose de la colère »

Chez Céline, l’écriture a toujours été un combat. Contre le papier, contre des ennemis imaginaires, contre tout ce qui le ronge depuis l’enfance. Ce premier épisode raconte comment Louis Destouches est devenu Louis-Ferdinand Céline, un romancier mondialement reconnu avec Voyage au bout de la nuit, mais aussi un homme assailli par le ressentiment et la haine, une victime auto-proclamée qui répand son fiel.
Louis Destouches est né à Courbevoie en 1894 et a grandi dans une famille aimante de la petite bourgeoisie parisienne. Élève moyen et jeune homme frivole, il s’engage à 18 ans pour conjurer le déclassement qui le guette. Le soldat Destouches est grièvement blessé sur le front en octobre 1914. Sans doute pas aussi grièvement qu’il l’affirmera, mais en tout cas durablement traumatisé. Bénéficiant d’une affectation très privilégiée au consulat français de Londres, il vitupère contre les « planqués ». Car Céline est assez gonflé et le restera jusqu’à sa mort.
Redevenu civil, il s’établit au Cameroun, où sa correspondance révèle un jeune colon, animé par le racisme et l’antisémitisme. De retour en France, il reprend ses études et devient médecin hygiéniste à la Société des Nations, à Genève. Une fois rentré à Paris, il entame l’écriture de Voyage au bout de la nuit. La publication du roman est un tremblement de terre dans le monde littéraire et lui assure une renommée internationale. En mai 1936, après quatre ans d’un labeur acharné, Céline publie enfin Mort à crédit. Alors qu’il le tient pour son véritable chef-d’œuvre, son orgueil est blessé par l’échec critique et commercial du roman. Céline cherche des coupables... 

21.45 « Le collaborationniste »

Dès 1937, de plus en plus inquiet d’une guerre contre Hitler, Louis-Ferdinand Céline désigne les Juifs comme responsables. Avec Bagatelles pour un massacre, l’écrivain met sa notoriété au service de l’antisémitisme et pioche pour ce faire allègrement dans les pires délires de la propagande nazie. Bien qu’il se soit toujours défendu du moindre engagement politique, avec L’École des cadavres, publié en 1938, il fait ouvertement l’apologie des régimes fascistes et adhère à leur vision du monde. À partir de l’automne 1940, dans une France occupée, il rejoint le clan des collaborationnistes, ces Français qui souhaitent une alliance avec le IIIe Reich et aspirent à une Europe dirigée par Hitler. Avec Les Beaux Draps, publié en 1941, l’écrivain se place sur le terrain du droit et de l’antisémitisme d’action. La radicalisation de Céline se poursuit jusqu’en 1944. Mais pleinement conscient des conséquences de ses actes, le docteur Destouches va être l’un des tout premiers, en juin 1944, à décamper devant l’avancée alliée. Bien avant Pétain et Laval.

22.25 « Le mystificateur »

Car il fuit une mort certaine à Paris. En juin 1944, Louis-Ferdinand Céline est l’un des collaborationnistes les plus en vue de l’Occupation. Direction : Sigmaringen, la colonie baroque où échouent les débris hagards de Vichy et de la collaboration française. Devant l’avancée des Alliés, les autorités nazies lui offrent une échappatoire à Copenhague. Très vite, Céline est dénoncé, puis arrêté. Les appuis de son avocat danois lui évitent l’extradition vers la France et, après 18 mois de prison, il est remis en liberté. En 1950, à Paris, Céline est lourdement condamné par contumace. Mais, un an plus tard, grâce à Tixier-Vignancour, un avocat d’extrême droite, il obtient une amnistie plus que douteuse – car sans doute basée sur un faux en écriture – qui lui permet de rentrer en France. Jusqu’à sa mort en 1961, jamais Céline ne retrouvera l’estime ni la notoriété qui furent les siennes avant-guerre. Mais dans le petit pavillon de Meudon, où il reçoit parfois la presse, il met au point son grand numéro de martyr et de clochard céleste et répète imperturbablement ce qui restera l’unique défense de ce roi de l’embrouille vaniteux et égotiste, construisant sa statue d’auteur majeur : il n’a toujours cherché qu’à faire le bien, il a été victime de la méchanceté des hommes, « J’ai manqué d’égoïsme », il n’est qu’un pauvre invalide de guerre, « Tous les autres sont coupables, pas moi ! »

Après un purgatoire – relatif, il ne faut rien exagérer – jusqu’au début des années 1980, d’autres, donc, se chargeront de polir sa légende pour assurer son entrée au panthéon des lettres françaises. Mais le lieu commun qui s’installe alors peu à peu mettant à égalité les œuvres de Marcel Proust et de Louis-Ferdinand Céline et créant un face à face artificiel, douteux et glaçant entre un écrivain juif et un écrivain antisémite n’est-il pas finalement une façon de blanchir à bon compte le second ?

Intervenants (issus du podcast Louis-Ferdinand Céline, le voyage sans retour, diffusé sur France Inter, réalisé par Violaine Ballet et Juliette Médevielle) :

Émile Brami, Laurent Joly, Grégoire Kauffmann, David Labreure, Pascal Ory, Philippe Roussin, Odile Roynette, Jean Ruhlmann, Frédéric Sallée, Anne Simonin, Régis Tettamanzi, Frédéric Vitoux

Avec l’aimable collaboration des équipes techniques de Radio France


Louis-Ferdinand Céline, le voyage sans retour

Documentaire (inédit – 3 x 45 min – 2025) – Adapté du podcast original de Philippe Collin sur France Inter – Écrit et raconté par Philippe Collin – Réalisation Florence Platarets – Conseillère historique Odile Roynette – Lectures de Charles Berling et Bérengère Warluzel – Production AGAT Films – En coproduction avec Radio France – Avec la participation du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée et de France Télévisions – Avec le soutien de la Procirep (Société des producteurs) et de l’Angoa – Musique originale Jorge Gabriel Ro et Mattia Feliciani (Alba Musique et France Télévisions Distribution) – Chefs monteurs Laure-Alice Hervé, Yasmina Jaafri, Jean-Baptiste Blanc – Documentalistes Claire Perrier de La Bathie, Audrey GrégoireCharlotte de Luppé – Dessinateurs Sébastien Goethals et Horne Perreard – Animation dessins Valentine Delqueux et Julien Farto – Habillage graphique Romain Egea

Diffusion dimanche 14 décembre à 21.05 sur France 5
À voir et à revoir sur france.tv

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Publié le 06 décembre 2025