Éloge de la Petite Reine

C’est le seul événement sportif qui passe devant ta porte et qui est gratuit.

Bernard Hinault, quintuple vainqueur du Tour

 Chaque année, ils sont plus d’un milliard à le suivre derrière leur écran et près de onze millions à le vivre au bord des routes (et c’est sans compter les auditeurs ou les lecteurs). Un public fidèle qui ne raterait pour rien ou monde (ou presque) ces trois semaines d’une course intense, où rien n’est véritablement joué d’avance (à nuancer, il est vrai, selon les années). Certains, pour ne pas dire une grande majorité de spectateurs, sont prêts à se lever aux aurores ou à marcher plusieurs kilomètres pour prendre place le long du tracé. On y vient en famille, entre amis, le pique-nique à portée de main. On tend le bras au passage de la caravane avant de donner de la voix en apercevant son ou sa favori(te).

L’étape que je gagne sur le Tour, c’était une étape assez vallonnée, assez dure, mais pas une étape de pur grimpeur. Et c’est vrai que je sentais que ça allait s’énerver assez rapidement, attaquer de partout. Je me suis dit, bon, va falloir être patiente. Et dans le vélo, parfois, faut prendre des risques, mais faut prendre aussi le risque de patienter.

Cédrine Kerboal, coureuse professionnelle

Né au début du XX^e siècle, le Tour de France est l’un des rares événements sportifs gratuit. Pas besoin de payer pour voir passer le peloton ou assister à une échappée. Interrogez un inconditionnel du Tour et il partagera avec vous une multitude d’anecdotes ou de souvenirs. Il y a même à parier que parmi les plus réfractaires à cette course cycliste, certains soient à même d’évoquer le nom d’un coureur (fût-il d’une autre époque) ou d’un col rendu célèbre par son ascension ou sa descente. Aussi, quoi de plus réjouissant avant d’entamer cette cent douzième édition (qui partira de Lille Métropole le 5 juillet) que de plonger dans ce Dictionnaire amoureux du Tour de France ô combien instructif et révélateur d’une passion pour le deux-roues sur lequel on se rêve parfois en grand(e) champion(ne). À l’aide de cet abécédaire, adapté du livre éponyme de Christian Laborde, le documentaire nous entraîne dans le sillage de ceux et celles qui ont façonné cette course, qu’ils en soient à l’origine ou que leur nom soit associé à une édition, un duel ou une étape, qu’ils aient été présents dans la caravane, parmi les suiveurs ou aux abords du parcours — tous à leur échelle ont fait du Tour ce qu’il est devenu.

Antoine Blondin est resté romancier en écrivant les chroniques du Tour. Et il avait là des personnages qui le fascinaient et qu'il a fait vivre. C’est-à-dire que les chroniques d’Antoine Blondin sont autant de chapitres d’un roman, d'un grand roman : « Le Tour de France ».

Christian Laborde

Sous les feux de la rampe, 16 juillet 1969 (extrait)

« À peine plus d’un demi-siècle d’existence a suffi au Tour de France pour assurer sa topographie légendaire. À travers les modifications qui, d’une année à l’autre, affectent l’itinéraire, on retrouve la permanence de quelques hauts lieux. Ils donnent à l’épreuve sa quatrième dimension, relient la course d’aujourd’hui à toutes celles d’hier et contribuent à fonder une manière de classicisme où, dans le plus sublime des cas, le nom d’un homme et celui d’un champ de bataille se trouvent associés. 
On ne franchit pas le Tourmalet sans évoquer la figure rigoureuse du grand Christophe de 1913, brasant la fourche brisée de son engin chez le forgeron de Sainte-Marle-de-Campan. On ne repeuple pas la fameuse “case déserte” sans évoquer la silhouette prestigieuse de Louison Bobet à travers le col de l'Izoard, transformé depuis en un boulevard, qui devrait porter son nom. On ne traverse pas les plaines du Roussillon sans identifier un platane contre lequel vint s'affaler le coureur algérien Zaaf, victime de l'enthousiasme généreux des vignerons. On ne dévale pas l'Aubisque sans se montrer du doigt le ravin où le Hollandais Van Est, alors détenteur du Maillot jaune, fit un plongeon de cent mètres sans se rompre les os. Les ombres ennemis et fraternelles de Bartali et de Coppi se croisent encore dans l'ascension du Galibier. Et le seul Koblet occupe toute la largeur d'une avenue triomphale qui irait de Brive à Agen. Ainsi, peu à peu, chaque détour de la route, chaque lacet de la montagne finissent par appeler l'écho d'un exploit. Une nouvelle carte de France se dessine à l'intérieur de l'autre, dont les provinces portent les couleurs des champions qui les ont illustrées en s'illustrant eux-mêmes.
Depuis hier soir, les Pyrénées, pour nous, constituent la planète Merckx. »
Antoine Blondin (article recueilli dans Tours de France, « Chroniques de l’Équipe » 1954-1982, éditions La Table Ronde) 

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