Art déco : un siècle de splendeur entre Paris, Reims et au-delà

Carole Gaessler nous présente ce numéro exceptionnel.

L’Art déco reste extrêmement moderne pour un centenaire ?
Carole Gaessler : Je suis tout à fait d'accord !  C'est un centenaire très jeune effectivement. Il y a une forme de modernité par les grandes ouvertures, par les lignes droites, des symétries incroyables, l'entrée de la lumière grâce aux immenses fenêtres et aux vitraux, la ferronnerie qui est travaillée magnifiquement. Il y a une forme de fonctionnalité aussi. On est après guerre. Jusqu’alors, la plupart des logements étaient insalubres, pas du tout équipés. Et là, tout à coup, on met la modernité au service de l'architecture. de la praticité que l’on perçoit dans l’ergonomie du mobilier, par exemple, avec ses bords légèrement arrondis.

Un Art déco qui ne se limite pas à la France ?
C. G. : J’ignorais que l'art déco qui est donc français s'est exporté à ce point-là. Il y a des architectes qui ont fait de l’Art déco à New York (Empire State Building) ou sont partis rebâtir à Casablanca ou encore à Miami (Ocean Drive). Ils partaient de Cherbourg, dont la gare maritime que vous découvrirez est un chef-d’œuvre de l’Art déco. Car Cherbourg était le point de départ des traversées transatlantiques. D’ailleurs, les paquebots et leurs décors des années 1920 ont fortement participé au succès de ce mouvement à travers le monde, notamment aux États-Unis.
 
Et un Art déco à la mission sociale ?
C. G. : C’est vrai que l’on a souvent retenu les très beaux immeubles et les bâtiments imposant un luxe Art déco. Mais l'Art déco avait une mission sociale. À la suite des destructions de la Première Guerre mondiale, il a fallu reconstruire et moderniser les HBM (« habitations à bon marché », ancien nom des HLM), les cités ouvrières, comme repenser des villes comme Reims ou Paris (ce qui n’avait pas été fait depuis Haussmann). On est créatif, on sent que tout est possible, notamment grâce à l’utilisation du béton armé qui permet d’élever les bâtiments.
On en profite pour repenser sa façon de vivre, de s'habiller, de faire la fête. Vous verrez  d'ailleurs dans ce numéro un portrait de Mélina Sadi, surnommée « la baronne de Paname » qui organise des bals rétro hauts en couleur pour prolonger l’esprit des Années folles. L’Art déco s'accompagne aussi du développement de la voiture, du chemin de fer. Cette période pleine d'énergie et d’exubérance ne dure que 20 ans, mais va à toute vitesse. J’aurais bien voulu vivre à cette époque !
 
 
Un coup de cœur dans ce numéro très riche ?
C. G. : Plutôt un grand coup de chapeau pour tous ces passionnés que nous avons rencontrés, qu’ils soient conservateurs, propriétaires, particuliers, ces amoureux de l’Art déco qui font vivre et revivre ce patrimoine. Comme Olivier Poulin qui nous a ouvert exceptionnellement les portes de son appartement au décor des années 20, ou Alexia Leleu qui a relevé un pari fou, celui de faire renaître les créations de son arrière-grand-père, le grand designer Jules Leleu. 

Propos recueillis par Béatrice Cantet

 

Revivez la naissance de l'Art déco à l'exposition internationale de 1925 !

Jusqu'au 29 mars,  rendez-vous au Palais de Chaillot où Bénédicte Mayer, attachée de conservation à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, nous fait revivre l’exposition internationale des Arts décoratifs de 1925, à Paris. 

« C'est important que, à l’occasion de ce centenaire, France Télévisions donne un coup de projecteur à l'Art déco, parce que les collections publiques regorgent d’objets de cette période comme des décors, du mobilier, des dessins d’architecture, des tableaux, des sculptures. Or, ces œuvres ont été très peu regardées et mises en valeur jusqu’à maintenant. Peut-être parce que prétendument trop associées au luxe, au factuel, ou au moins novateur. Il est donc essentiel que le service public s'en empare.
 
« C’est essentiel aussi de casser l’idée que l’Art déco n’ “appartiendrait” qu’aux grands collectionneurs, aux grands décorateurs, au domaine privé. Certes, c’est le marché de l’art qui a remis l’Art déco au goût du jour et à la mode peu avant les années 2000. Mais, dès 1925, l’Union centrale des Arts décoratifs achète et reçoit à l’Exposition universelle beaucoup de créations. C’est capital de montrer que c’est un courant très moderne et au service de tous ! »