Taïwan sera-t-elle la prochaine Ukraine ?

Le Monde en face

Difficile de ne pas faire le rapprochement alors que l’invasion russe se poursuit en Ukraine. Pourtant séparées par des milliers de kilomètres, ces deux nations font face aux mêmes enjeux, aux mêmes monstres. Russie d’un côté, Chine de l’autre, et dans les deux cas un appui des États-Unis. En quelques années, cet îlot est devenu le centre névralgique des tensions géopolitiques, comme le montre le documentaire « Taïwan : nation interdite », à voir le dimanche 7 mai à 20.55 sur France 5.

Taïwan, enjeu de convoitises internationales © Rammohan Pateriya - BROTHERFILMS

Alors que l’Occident a les yeux rivés sur l’Ukraine, il serait bien avisé de ne pas en oublier Taïwan pour autant. Taïwan sera-t-elle la prochaine Ukraine ? La question a de quoi surprendre mais elle n’a jamais eu autant d’intérêt, comme le fait remarquer Wandrille Lanos dans son documentaire Taïwan, nation interdite. Les similitudes sont nombreuses entre ces deux pays confrontés chacun à l’une des superpuissances autoritaristes de la planète : la Russie d’un côté et la Chine de l’autre. Ils sont aussi le théâtre d’enjeux bien plus grands qu’eux-mêmes, une lutte entre autoritarisme et démocratie, libéralisme et économie dirigée, entre l’Occident et ses ennemis autoproclamés. Bénéficiant d’un emplacement stratégique (accès à la mer Noire pour l’Ukraine et donc lien avec la Turquie ; point de passage entre la mer de Chine orientale et occidentale, mais aussi ligne de démarcation des positions américaines) et de ressources convoitées (céréales en Ukraine ; semi-conducteurs à Taïwan dont il est le premier producteur mondial), les deux États font aussi partie d’un vaste plan, d’un « rêve » nationaliste initié par Vladimir Poutine et Xi Jinping. Et l’invasion russe soudaine, violente et de grande ampleur, a montré la détermination de ces régimes à poursuivre leurs objectifs. Mais la résistance vaillante de l’ensemble du peuple ukrainien a prouvé que rien n’était joué pour autant dans ce qu’ils pensaient être une marche inéluctable et ainsi donné des idées aux Taïwanais sur la manière d’organiser et de planifier la résistance, notamment avec la formation de milices civiles.

La Chine
Embarquée sur le chemin du « rêve chinois » depuis l’avènement de Xi Jinping en 2012, la Chine considère Taïwan comme partie intégrante de son vaste territoire (nouvel empire ?). Une volonté sans cesse réaffirmée comme en octobre dernier avec cette annonce : « Taïwan fait partie intégrante de la Chine […] nous irons jusqu’au bout de notre rêve […] mais nous ne pouvons pas promettre de ne pas utiliser la force » (Xi Jinping, 16 oct. 2022). Une affirmation en guise d’avertissement, des avertissements qui se multiplient à intervalles de plus en plus réguliers ces derniers mois. Pas de quoi intimider la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, qui lui a répondu aussitôt dans un discours remarqué en appelant au soutien de la communauté internationale (entendre l’Occident) pour « sauver et protéger un modèle de démocratie ». Outre les provocations verbales, la Chine montre également les muscles (elle est aujourd’hui la première marine mondiale), ses navires et avions de combat franchissant régulièrement les lignes de démarcation entre les deux pays. Une pression constante qui a de quoi miner le moral de la population taïwanaise, également frappée par la répression violente de la « révolution des parapluies » à Hong Kong, en 2014. En sus de l’intérêt territorial et nationaliste, la Chine – comme le monde entier – convoite Taïwan pour sa production de semi-conducteurs (90 % au niveau mondial), ces puces de la taille du nanomètre utilisées dans toutes les technologies modernes (de l’ordinateur à la voiture électrique, en passant par les armes et satellites, etc.) et dont la République populaire ne sait fabriquer que des versions de faible qualité. C’est aussi un levier de pression, voire un bouclier que Taïwan brandit face à son voisin continental, faisant état de la crise internationale de grande ampleur que provoquerait une interruption de ses usines.

Les États-Unis
Si Taïwan est aujourd’hui ostracisée dans les organisations internationales (ONU, OMC, Interpol, etc.) et de plus en plus isolée sur la scène internationale, elle a su trouver avec les États-Unis un allié discret mais néanmoins présent. Avec la signature du « Taïwan Relation Act » en 1979, la première puissance mondiale a défini le cadre de relations diplomatiques officieuses. Ainsi, ils n’ont ni ambassades ni ambassadeurs, mais leur présence est néanmoins réelle sur le territoire du petit îlot (36 193 km²). Outre le commerce des semi-conducteurs, vital pour ses industries technologiques, les États-Unis voient dans Taïwan un maillon essentiel de la ligne de démarcation qu’ils ont définie avec l’influence territoriale chinoise (du Japon aux Philippines). Face à la montée accrue des tensions et depuis l’élection de Joe Biden, plus impliqué sur la scène internationale que ne l’était Donald Trump, les États-Unis n’hésitent pas à prendre position en faveur des Taïwanais, comme lors du déplacement du président au Japon en 2022 où il s’était déclaré prêt à se tenir aux côtés de Taïwan, militairement parlant, ou encore avec la visite de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des représentants des États-Unis. Un soutien qui n’est pas sans intérêt mais dissuade encore la Chine d’envahir l’îlot aux 23 millions d’habitants – jusqu’à quand ?

Le documentaire sera suivi d'un débat, avec les invités suivants :
Wandrille Lanos, réalisateur du film
François Wu, représentant de Taïwan en France
Stéphane Corcuff, enseignant à Sciences Po Lyon, spécialiste de Taïwan et du monde chinois contemporain
Pierre Haski, chroniqueur géopolitique - France Inter

À propos du réalisateur
Wandrille Lanos est journaliste et réalisateur depuis dix ans. Il débute à l’agence CAPA, où il réalise des reportages pour Canal+ et France 2. Il collabore pendant quatre ans à l’émission Cash Investigation (France 2). De 2015 à 2018, il est reporter à la rédaction du magazine Envoyé spécial. Ses enquêtes et reportages lui ont permis de couvrir des thématiques de société en France, comme des sujets d’investigation internationaux, et l’ont mené sur les traces de mineurs migrants isolés en Europe, à bord des bateaux qui pratiquent la pêche illégale au large de l’Afrique de l’Ouest ou encore au contact des Indiens de la forêt amazonienne qui s’attaquent au géant pétrolier Chevron. Il vient de réaliser Bouddhisme, la loi du silence, un documentaire de 90 minutes pour Arte. 

Le Monde en face : Taïwan, nation interdite 

Magazine (70 min) – Présentation Mélanie Taravant – Réalisation Wandrille Lanos – Production Brother Films, Emmanuel François, Alice Mansion, avec la participation de France Télévisions

Le Monde en face : Taïwan, nation interdite, présenté par Mélanie Taravant est à voir le dimanche 7 mai à 20.55 sur France 5 et à revoir sur france.tv 

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