« Philippe V : les démons du roi d’Espagne », un numéro inédit de « Secrets d'histoire »

C’est à Ségovie, en pleine sierra de Guadarrama, à 80 kilomètres au nord de Madrid, que Stéphane Bern débute ce numéro de Secrets d’histoire en nous ouvrant les portes du palais de la Granja de San Ildefonso, surnommé le « Versailles espagnol ». Un choix qui s’imposait puisque le domaine et son ancien pavillon de chasse, appréciés des rois à la fin du Moyen Âge, avant d’être cédés à des moines, furent rachetés en 1719 par Philippe V qui y fit édifier une somptueuse résidence inspirée de celle de son grand-père... Louis XIV.
Car Philippe V est un Bourbon, né à Versailles, fils du « Grand Dauphin » Louis de  France et petit-fils du Roi-Soleil, donc. Fils cadet – de surcroît enfant timoré, gauche et solitaire –, son accession à un quelconque trône n’était guère dans l’ordre des choses. Mais l’histoire a certaines ruses, qu’au besoin on aide un peu : à la fin du XVII^e siècle, la succession d’Espagne (c’est-à-dire d’un empire démesuré qui s’étend sur quatre continents) est une question épineuse qui obnubile presque toutes les têtes couronnées d’Europe, évidemment toutes cousines et toutes rivales. Le pauvre Charles II (dit « l’Ensorcelé ») incarne la décrépitude de la dynastie Habsbourg d’Espagne, minée par la consanguinité : il est contrefait, débile et sans postérité. En 1700, coup de théâtre : après avoir pris conseil auprès du pape – qui lui suggère, dit-on, le recours au spiritisme pour interroger les esprits de ses ancêtres ! –, Charles décide de faire de son petit-neveu Philippe d’Anjou son légataire, puis meurt.
L’adolescent timide devient à 16 ans roi d’Espagne et des Indes, de Sicile, de Naples, de Sardaigne, souverain des Pays-Bas et duc de Milan, et quitte les jardins paisibles de Versailles pour un pays dont il ignore la langue et les coutumes, après une formation accélérée au métier de monarque délivrée par Louis XIV en personne !

Un roi tourmenté et mélancolique

La suite sera haute en couleur. Et c’est ce que nous raconte Stéphane Bern. Philippe V ne fut pas un roi tout à fait comme les autres. On le surnomma El Animoso (« le Brave ») mais, à dire vrai, il fut bien plus que cela : agité, tourmenté, tantôt exalté, tantôt abattu, délirant, même...  Un roi à la personnalité ténébreuse, souffrant sans doute de troubles maniaco-dépressifs et  sujet à de violentes crises de mélancolie qui l’obligèrent parfois à vivre reclus, aux portes de la folie. On raconte même – mais c’est presque trop beau pour être vrai – qu’il lui arrivait de plonger dans les bassins de ses jardins en se prenant pour une grenouille !
Protecteur des arts et des lettres, notamment de la musique, Philippe V le mélomane entretint une relation intrigante et quasi fraternelle avec le célèbre castrat Farinelli, le seul, dit-on, à pouvoir par son chant calmer les crises du souverain. Sévèrement jugé par l’histoire, qui est volontiers injuste, Philippe V est un roi complexe, habité par une profonde piété, mais aussi esclave de ses obsessions – la mort – et de ses addictions – le sexe. Un roi centaure, également : valeureux sur le champ de bataille, jusqu’à l’exaltation, au point d’effrayer ses généraux eux-mêmes. Jusqu’à la cruauté aussi, parfois.
Comment cet esprit éclairé venu de France réussit-il à maintenir l’Espagne parmi les grandes nations du XVIII^e siècle alors qu’une neurasthénie chronique le plongeait quotidiennement dans une mélancolie et une tristesse abyssales ? Stéphane Bern nous propose de découvrir la double personnalité de Philippe V, ce prince français qui ne devait pas être roi.

Avec la participation de Jesús Pozuelo Díaz, historien • Nicolas Morales, historien • Suzanne Varga, écrivaine • Philippe Séguy, écrivain • César Cervera Moreno, écrivain • José Luis Sancho, conservateur au Patrimonio Nacional • Amaya Alzaga Ruíz, historienne • Mathieu Da  Vinha, historien • Jean-Christian Petitfils, historien • Sandra Martinez, historienne • Élodie Vaysse, conservatrice du patrimoine au château de Versailles • Almudena Pérez de Tudela Gabalón, conservatrice au Patrimonio Nacional • María de Los Ángeles Pérez Samper, historienne • Luis Vallejo, fontainier au Palais royal de la Granja • Óscar Uceda Márquez, historien • Sergio Rubio Tormo, archiviste de la ville de Xàtiva • Lucien Bély, historien • Juan José Carrero, artisan souffleur à la Fabrique royale de la Granja • Marta Cibelina, écrivaine • Manuel Martín Galán, historien • Juan José Alonso Martín, directeur des Archives générales du Palais royal de Madrid