Danser à en crever : « On achève bien les chevaux », une expérience théâtrale viscérale et haletante

Au départ, il y a le roman choc d’Horace McCoy, publié en 1935. Dans l’Amérique de la Grande Dépression, On achève bien les chevaux raconte l’enfer de ces marathons de danse organisés par des promoteurs de spectacle sans scrupule. Dans la perspective d’une récompense financière, les concurrents sont prêts à danser jusqu’à la mort pour rester les derniers en piste. À travers le destin d’un couple jusqu’au-boutiste, l’auteur dénonce un modèle de société basé sur l’exploitation corporelle des plus démunis. Le rêve américain en prend un sacré coup et le roman noir annonce les dérives de ce que l’on ne nomme pas encore la « société du spectacle ». 
Trente-cinq ans plus tard, le réalisateur Sydney Pollack signe une adaptation cinématographique étouffante, portée par le charisme et l’investissement physique de Jane Fonda. En plein désenchantement post-68, le film enfonce le clou que le roman avait commencé à planter : parce qu’il montre frontalement l’épuisement des corps, sa version s’impose comme une métaphore cruelle d’un système littéralement à bout de souffle.

Il doit y avoir dans le monde une tripotée de gens comme moi, qui ont envie de mourir, mais qui n’en ont pas le courage.

Horace McCoy, « On achève bien les chevaux »

Désirant réinterroger la notion de « danse-théâtre », Bruno Bouché, chorégraphe et directeur artistique du CCN - Ballet de l’Opéra national du Rhin, Daniel San Pedro et Clément Hervieu-Léger, à la tête de la Compagnie des Petits Champs, se lancent dans une nouvelle adaptation du roman d’Horace McCoy, encore plus viscérale et bouleversante. Leur version d'On achève bien les chevaux est un spectacle fait de sueur, de larmes, de cris, de chuchotements, d’élans et d’épuisements qui, mettant à nu et à mal la vulnérabilité des artistes eux-mêmes, en vient à interroger celle de l’humanité. Au cœur d’une arène, trente-deux danseuses et danseurs, neuf comédiennes et comédiens et quatre musiciens sont soumis au rythme infernal des marathons. La danse est forte et transgressive, les corps s’approprient le texte de manière fulgurante. Un spectacle total qui invite le public à partager une expérience hors norme.