Devin ou charlatan ? « Nostradamus, ou comment prédire son avenir »

Entre prophéties, herboristerie, cosmétique, formule du philtre d’amour, recettes de confitures... et marketing de génie, de Paris à Salon-de-Provence en passant par Chaumont-sur-Loire, Stéphane Bern nous entraîne sur les pas du plus célèbre médecin astrologue de l’histoire, dont les prédictions échauffent encore les esprits. Dans « Secrets d’histoire », mercredi 17 mai à 21.10 sur France 3.


Le lyon jeune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duelle,
Dans cage d’or les yeux lui crèvera :
Deux classes une, puis mourir, mort cruelle.


Voilà l’un des plus célèbres quatrains obscurs et tarabiscotés qui assurèrent au fameux mage une renommée toujours aussi florissante, sinon dans le domaine de la poésie, du moins dans celui de l’ésotérisme. Publiées quatre ans plus tôt (Les Prophéties de M. Nostradamus, à Lyon, chez Macé Bonhomme, 1555), ces quatre lignes prirent en effet une signification funeste en 1559, au lendemain de la mort du roi Henri II (vieux lion) des suites d’un stupide accident de tournoi causé par Jacques de Montgomery (jeune lion), capitaine de sa garde écossaise, dont un tronçon de la lance brisée vint traverser le heaume (cage d’or) du prince, provoquant les dégâts que l’on devine. La masse des dix Centuries (10 fois 100 quatrains) que nous a léguées le supposé prophète est telle que les nombreux exégètes y ont trouvé au fil des siècles à peu près tout ce qu’ils étaient venus y chercher, notamment l’annonce – toujours révélée après coup et au prix d’analyses souvent habiles mais tirées par les cheveux – de l’arrestation de Louis XVI à Varennes, de l’avènement de Napoléon Ier, de la prise du pouvoir d’Adolf Hitler, des attentats du 11-Septembre, etc. La liste n’est pas close.
Nostradamus : plaisantin ou initié ? Devin ou charlatan ? Ce numéro de Secrets d’histoire se garde bien de trancher mais la balade buissonnière à laquelle nous convie Stéphane Bern, de Blois à Salon-de-Provence, de Paris à Montpellier en passant par le château de Chaumont-sur-Loire, magnifiquement restauré par la reine Catherine de Médicis, mérite le détour, mêlant l’histoire de la médecine et de la pharmacie, les croyances – plus ou moins tolérées par l’Église – en l’astrologie et en la divination et sans doute les débuts d’un marketing utilisant avec bonheur le développement de l’imprimerie.
Il vaut surtout pour le portrait d’un personnage fascinant et difficile à saisir, à la croisée de la science et de la superstition, de l’entrepreneur, du chercheur et du charlatan. Un homme de la Renaissance, en somme.
Né Michel de Nostredame à Salon-de-Provence, issu sans doute d’une famille de Juifs convertis au catholicisme, le futur mage est à la fois herboriste, médecin formé à l’université de Montpellier mais rayé des listes pour avoir exercé des fonctions d’apothicaire – ce qui est alors plutôt mal vu chez les disciples d’Esculape –, ésotériste, fabricant de remèdes et d’onguents, auteur d’une Manière de faire divers fardemens et d’une Manière de faire diverses confitures, etc. Entre pharmacopée, cosmétique et magie, on trouve tout chez Nostredame : un traitement contre la peste, des potions pour se teindre la barbe et les cheveux, avoir meilleure haleine ou effacer ses taches de rousseur, un philtre d’amour (contenant, comme il se doit, de la mandragore et de l’ambre gris de baleine), des recettes de fruits confits (encore considérés comme un médicament), etc. Un bric-à-brac destiné à des clients soucieux d’un bien-être dans l’air du temps, au moins parmi l’élite fortunée.

« Nostradamus, ou comment prédire son avenir… »
« Nostradamus, ou comment prédire son avenir… »
 © Société Européenne de Production

Cela ne suffit pas encore : le voilà astrologue et prophète, pourvu d’un nom qui sonne bien, un nom de mage – Nostradamus –, saisissant la vogue des almanachs et des « pronostications » (pourtant raillée de façon bouffonne par un autre médecin, François Rabelais), utilisant habilement pour toucher un large public les progrès de la vente dans les foires de fascicules et de livrets imprimés où l’on trouve compilés calendriers, éphémérides, positions de la lune, conseils pour les plantations ou les récoltes, prédictions alambiquées… La veine divinatoire de Nostradamus, toute en charabia et en jeux de mots érudits, n’est évidemment guère joyeuse : les annonces de catastrophes naturelles, d’épidémies et de morts violentes rejoignent les grands effrois de l’époque. Le succès de Nostradamus passe enfin par une formidable et inespérée rencontre : celle de la régente Catherine de Médicis, d’origine italienne, superstitieuse, gourmande de confitures, angoissée – non sans raison : veuve d’Henri II, elle survivra à quatre fils, dont trois rois –, toquée d’astrologie, d’amulettes, de remèdes… Elle s’entiche du mage. Son fils Charles IX le nommera médecin ordinaire du roi.
Jalousé par les médecins et les astrologues, attaqué par les catholiques comme par les protestants, caricaturé en escroc alcoolique, Nostradamus n’en est pas moins célèbre et renommé, traduit en anglais, en allemand, imité, pillé. À sa mort en 1566, il entre dans la légende. Il n’en est pas sorti. Il est devenu un mystère à déchiffrer. Sa meilleure prédiction est peut-être d’avoir compris que le besoin de croire et de chercher durerait toujours.

Intervenants 

Mireille Huchon, biographe ; Patrice Boudet, historienne ; Joëlle Chevé, historienne ; Jean-François Solnon, historien ; Hervé Drévillon, historien ; Pascal Lacrocq, écrivain ; Sylvain Bouchet, historien ; Jacqueline Allemand, ancienne directrice du musée Nostradamus.


Secrets d’histoire : Nostradamus, ou comment prédire son avenir

Documentaire culturel (2023 - inédit) – Présentation Stéphane Bern – Une collection proposée par Jean-Louis Remilleux avec Stéphane Bern – Production Société Européenne de Production – Avec la participation de France Télévisions – Écriture du documentaire et réalisation des sujets Élodie Mialet – Réalisateur des séquences Stéphane Bern David Jankowski – Réalisateur évocations Éric Duret

Diffusion mercredi 17 mai à 21.10 sur France 3
À voir et à revoir sur france.tv

Publié par Christophe Kechroud-Gibassier le 15 mai 2023
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