Michel Debré et La Réunion : un espoir brisé

Député de la première circonscription de La Réunion de 1963 à 1988, Michel Debré avait pour ambition d’éradiquer la misère, la malnutrition, en offrant à l’île tout ce dont elle manquait, quitte à opérer des choix contestables, voire inacceptables, pour y parvenir. « Michel Debré et La Réunion, dérives d’une ambition républicaine » est diffusé dimanche 24 septembre à 23.10 sur France 5.

« Michel Debré et La Réunion, dérives d'une ambition républicaine ». © INA

« Cher ami,
Vous me rendrez cette justice : j’interviens aussi peu que possible. Toute autre attitude serait d’ailleurs déplacée. Je me permets de faire une exception pour 1’île de La Réunion. Lorsque j’étais à Matignon, il m’a fallu quasiment taper du poing sur la table pour obtenir que la métropole corrige la sous-alimentation, qui est, avec la surpopulation, le mal chronique de l’île. Finalement, des envois ont été faits, notamment de viande et de lait. Or, j’apprends qu’on va réduire ces envois. Est-ce vraiment une économie souhaitable alors que vous connaissez nos excédents ? »

Extrait d’un courrier rédigé par Michel Debré à l’attention de Louis Jacquinot, ministre des Départements et Territoires d’outre-mer, fin 1962 (Source : Presses universitaires du Septentrion)


Proche du général de Gaulle, ancien premier ministre, tour à tour ou conjointement ministre, député et maire, il est indissociable de cette république de l’après-guerre. Celle qui connut les Trente Glorieuses, la décolonisation, Mai 68. Michel Debré, fils du célèbre pédiatre Robert Debré, a par ses actions durablement marqué l’île de La Réunion, dont il fut député pendant vingt-cinq ans. Enferré dans des idéaux politiques d’un autre temps, il ne prit pas conscience ou ne voulut pas voir que ses vœux pieux étaient, pour partie, voués à l’échec. Certes, il était plus que temps de se préoccuper des Français ultramarins, de les aider à sortir de la précarité ou du désœuvrement, de moderniser leurs infrastructures, de combattre la malnutrition ou l’illettrisme. Mais devait-on, pour y parvenir, pousser des gens à l’exil (en leur promettant un travail et une vie meilleure dans l’Hexagone, qui à l’époque manquait de main-d’œuvre), avorter ou stériliser des femmes sans leur consentement (pour endiguer une démographie jugée galopante) et placer des enfants à des milliers de kilomètres de chez eux (dans des familles ou des institutions) ? « Le transfert forcé des mineurs réunionnais est, à mon sens, une politique d’État, explique l’historien Ivan Jablonka. Et donc, par définition, elle est collective. Bien sûr que Michel Debré a un rôle, parce que c’est lui qui met une forte pression sur tous ces services. C’est à la fois toute une époque, toute une philosophie, toute une manière de penser, tout un contexte aussi, néocolonial, qui finit par transférer des milliers d’enfants loin de chez eux dans un contexte où ils sont complètement perdus. »
Il faudra sans doute encore des années pour panser les plaies de cette politique présentée comme sociale mais dont les contours étaient indéniablement paternalistes et dirigistes.

La Case du siècle : Michel Debré et La Réunion, dérives d’une ambition républicaine

Autopsie d’une politique. Celle menée par Michel Debré, l’ex-Premier ministre parachuté en 1963 député de La Réunion, porteur du rêve gaulliste d’un État fort, d’une Nation unie et d’une plus grande France. De cette utopie républicaine naîtront certaines dérives, et des destins brisés.
Député de La Réunion pendant vingt-cinq ans, Michel Debré a fait de l’île un petit laboratoire du gaullisme. Ancienne colonie paupérisée, devenue département en 1946, La Réunion s’est modernisée à marche forcée, notamment au prix d’une politique brutale de contrôle de la démographie dont les conséquences résonnent encore aujourd’hui.
À travers l’héritage du « modèle Debré » à La Réunion, c’est toute la diversité de la Nation française qui se dessine, au cœur d’une réflexion sur les identités qui la fondent et les non-dits de la décolonisation.

Documentaire (52 min – 2022 – inédit) – Autrice et réalisatrice Alice Cohen – Conseiller historique Gilles Gauvin – Compositeur Grégoire Auger – Production Cinétévé, avec la participation de France Télévisions et du Centre National du Cinéma et de l’Image animée – Avec le soutien de la Procirep et de l’Angoa

Ce documentaire est diffusé dimanche 24 septembre à 23.10 sur France 5
La Case du siècle : Michel Debré et La Réunion, dérives d’une ambition républicaine est à voir et revoir sur france.tv

Bonus vidéo. « L’île de La Réunion », extrait de « 60 millions de Français » (daté de 1966), suivi de « La visite de Michel Debré à La Réunion en 1966 »


 

 

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