Mali, la guerre perdue contre le terrorisme

Il y a 10 ans, François Hollande est accueilli en héros au Mali. À la demande du président de l’époque, Dioncounda Traoré, des renforts militaires français sont déployés afin de repousser l’offensive djihadiste dans le nord du pays. L’opération Serval est lancée, suivie de celle de Barkhane. Mais, en août 2020, un coup d’État porte au pouvoir la junte malienne, qui s’allie aux forces russes. Pourquoi cette rupture entre la France et le Mali ? À découvrir dimanche 28 mai sur France 5 à 20.55.

 

Pour expliquer l'échec collectif de la relation franco-malienne, il faut revenir à l’histoire, celle de l’État moderne hérité de la colonisation et celle des anciens empires, pour lesquels ont tour à tour combattu toutes les communautés. En contrepoint de la parole des leaders, ce film propose celle des Maliens « ordinaires », femmes, jeunes, commerçants, éleveurs, combattants, qui nous livrent les causes de leur malheur, mais aussi leurs espoirs, leurs engagements, leur idée du drapeau et de la nation. Un documentaire, suivi d'un débat animé par Mélanie Taravant dans Le Monde en face.

Avec les guerres civiles algériennes (de 1991 à 2002), puis libyennes en 2011, de nombreux djihadistes s’enfuient vers le Sahara rejoindre d’autres mouvements tels que les rebelles indépendantistes touaregs du mouvement de libération de l’Azawad (territoire désertique dans le nord du Mali), eux-mêmes rejoints par de nombreux membres bergers peuls du pays. Très vite, les groupes armés prennent possession de nombreuses villes dans le nord du pays. Pendant près de dix mois, Tombouctou, ancienne ville universitaire, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, est coupée du reste du monde. Livres sacrés, mausolées, etc., sont détruits par les djihadistes. La ville du savoir vit notamment sous la coupe des hommes d’Aqmi et des salafistes d’Ansar Dine.

Mali, la guerre perdue contre le terrorisme
Mali, la guerre perdue contre le terrorisme
© Point du jour

Face à la dégradation de la sécurité et l’impuissance des autorités maliennes, le gouvernement français entre en guerre contre le mouvement islamiste. Avec l’opération Serval, puis Barkhane, près de 3 000 djihadistes sont tués au total. Suite au coup d’État, le Mali tourne peu à peu le dos à la France et lui ordonne de quitter le territoire.
Mais la France a-t-elle réussi à remporter la guerre ?

La guerre n’a sûrement pas été perdue, et ça serait vraiment un outrage que de dire de telles choses. Ne serait-ce que pour les 53 soldats et frères d’armes qui ont perdu la vie… La situation a changé et évolué, on a un retour sur investissement.

Colonel Doithier, chef du groupement tactique Désert 2

De mon point de vue, la victoire tactique, elle est indéniable… dans le meilleur des cas, il y a une neutralisation de l’ennemi, au pire une saisie des munitions… nous avons fait le job que nous avions à faire, après, le reste ne nous appartient pas.

Capitaine Stéphane, Serval 2013-Barkhane 2022

Un ressentiment anti-français grandissant ne cesse de croître au sein de la classe politique malienne mais également au niveau de la population.

Mali, la guerre perdue contre le terrorisme
Mali, la guerre perdue contre le terrorisme
© Point du jour

Ce que la classe politique doit comprendre : ils n’ont plus, à la tête du Mali, les hommes auxquels ils étaient habitués, qui étaient heureux d’aller à Paris dans les grands hôtels, etc. Nous, notre seul objectif aujourd’hui, c’est qu’au moment où l’on quittera le pouvoir, l’ordre et la sécurité seront rétablis.

Choquel Kokalla Maiga, Premier ministre actuel du Mali

Une incompréhension, pour la France, qui a pourtant évité à son ancienne colonie de devenir un État djihadiste. Le bilan affiché n’est pas bon, car les djihadistes continuent de faire la loi dans certaines villes.

La situation n'a fait que se dégrader malgré la présence des armées, des Nations Unies, et tout cela sous la supervision de la France. Si on en est là, c’est à cause de la gestion de la France, c’est la France qui a géré le Mali depuis 2013.

Fahad Ag Almahmoud, secrétaire général du groupe d’autodéfense touareg imghad et alliés (Gahia)

Résultat, le terrorisme n’a pas été détruit. L’autorité de l’État n’a pas été rétablie sur l’ensemble du territoire. Les résolutions des Nations Unies changent chaque année… Choquel Kokalla Maiga, Premier ministre

Les Maliens se tournent dorénavant vers la Russie, partenaire de Bamako, la capitale, depuis l’indépendance du pays en 1960.

Quand on achète des équipements en Europe, la France fait un blocage. Quand on achète aux Américains, la France intervient, on se tourne donc vers ceux qui ne nous bloquent pas

Choquel Kokalla Maiga, Premier ministre

Pour beaucoup, notamment les jeunes, l’objectif est de se ré-approprier leur pays et de s’affranchir de l’ancien colonisateur.

C’est l’armée qui va nous aider à avoir notre indépendance. Nous l’avons déjà, mais comme on dit : on ne libère pas un peuple, c’est le peuple qui se libère… nous voulons de la dictature, nous ne voulons pas de la démocratie.

Nouhoum Touré, jeune habitant de Kati

Avec l’arrivée des Russes, on a beaucoup d’armement : avions, chars, etc., le peuple est content. J’espère que nous allons gagner le combat. Ça vaut mieux que le régime de l’armée d’avant.

Fodé Sy, habitant de Kati

Quel avenir pour le Mali qui, malgré l’appel à l’aide en 2013, s’interroge de plus en plus sur la raison initiale du déploiement des troupes françaises au Sahel.


Biographies

Nathalie Prévost

Née en 1963, Nathalie Prévost a exercé comme journaliste à Paris jusqu’au début des années 2000, à Reuters, au JDD puis à l’agence Capa, comme spécialiste de la justice, des questions de sécurité puis d’investigation. Après cette première vie, le hasard la conduit à Niamey où elle s’installe en 2003 pour former des jeunes aux métiers des médias et de l’audiovisuel dans le cadre d’une association de coopération confraternelle nord-sud. Elle y reste quinze ans, et le Sahel deviendra sa deuxième vie et sa deuxième culture. Surtout au Niger, mais aussi au Mali, au Burkina Faso et en Mauritanie, elle continue de travailler dans la formation professionnelle puis dans la communication au service du développement, sur les questions de santé, d’éducation, de genre, de justice et de démocratie. Ces thématiques représentent une grande partie du champ de l’aide au développement.

En 2010, à l’occasion du coup d’État et de la transition qui s’ensuivra jusqu’aux élections de 2011, elle tourne et réalise un film documentaire autoproduit intitulé Demain, la démocratie. À la même époque, elle reprend une activité journalistique en tant que correspondante au Niger, alors que l’insécurité liée aux enlèvements d’Occidentaux et à l’activité des groupes djihadistes grandit dans la région. Depuis lors, elle se consacre très largement à cette thématique, reprenant le fil de sa spécialité journalistique antérieure. Elle observe l’embrasement progressif du Sahel, autour d’enjeux universels, mais ici criants : la jeunesse, la pauvreté, l’injustice, l’espoir d’une vie meilleure, la fracture du monde. De retour en France, elle continue de suivre la région et de s’y déplacer.

Olivier Jobard

Olivier Jobard est un photographe documentariste français, né le 20 janvier 1970. Il a travaillé pour l’agence photographique Sipa Press de 1991 à 2011. Il est aujourd’hui représenté par l’agence photographique Myop.
Filmographie :  Éthiopie : Tigré, au pays de la famine (2022) de Charles Emptaz et Olivier Jobard)  ; Guerre du Tigré, sur l'autre rive (2021) de Charles Emptaz et Olivier Jobard ;  Cœur de pierre (2019) de Claire Billet et Olivier Jobard ;  Tu seras Suédoise, ma fille (2018) de Claire Billet et Olivier Jobard ; Comme une pluie de parfum (2015) de Claire Billet et Olivier Jobard ; Monsieur et Madame Zhang (2013) de Fanny Tondre et Olivier Jobard

Le Monde en face
Mali, la guerre perdue contre le terrorisme  

Mali, la guerre perdue contre le terrorisme
Mali, la guerre perdue contre le terrorisme
© Point du jour

Personnalités interviewées
Cheick Aliou Sangaré,
secrétaire général des Jeunes engagés pour le Mali ; Choguel Kokalla Maïga, Premier ministre ; Fahad Ag Almahmoud, secrétaire général Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia) ; Ali Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale, médecin, fils de berger peul ; Tiebilé Dramé, ancien ministre des Affaires étrangères (2019) ; Moussa Mara,  ancien Premier ministre (2014-2015) ; Mahmoud Dicko, imam ; Haoua Maïga, chanteuse ; capitaine Stéphane, membre de la force Serval puis de la Force Barkhane ; colonel Statucki, chef du Groupement Tactique Désert aérocombat ; colonel Doithier, chef de corps du Groupement Tactique Désert 2 ; Hama Cissé, imam ; Marcelin Guengueré, ancien porte-parole de la milice dogon ; Anonyme, ancien combattant de la Katiba Macina (Al Qaida)  ; Aminata Bara, habitante du village de Wo, déplacée ; Boukhari Ben Essayouti, chef de la mission culturelle de Tombouctou  ; Alphadi Wangara, imam de la mosquée Sidi Yahia ; Diadié Hamadoun Maïga, ex-président du comité de crise de Tombouctou ; Khadidja Bamoye, Tombouctienne ; Anonyme, combattant d’Al Qaida ; Bilal Ag Acherif, secrétaire général du Mouvement national de libération de l’Azawad ; Ibrahim Ag Assaleh, ancien cadre indépendantiste touareg ; Ibrahim Ould Handa, secrétaire général du Mouvement arabe de l’Azawad ; Moussa Ag Acharatoumane, secrétaire général du Mouvement pour le Salut de l’Azawad ; Tinawelane Wallet Mohamed, habitante de Kidal ; Mohamed Assaleh, maire de Talataye  

Documentaire (70 minutes - inédit)  Présenté par Mélanie Taravant — Un film écrit par Nathalie Prévost — Réalisé par Nathalie Prévost et Olivier Jobard — Conseiller scientifique Marc-Antoine Pérouse de Montclos — Production Point du jour et Les films du Balibari

À découvrir dans Le Monde en face dimanche 28 mai, à partir de 20.55, sur France 5
À (re)voir sur france.tv

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