« Jorge Semprún, la plume au poing » : le stylo et la mitraillette

La Case du siècle

Jorge Semprún – résistant, écrivain, humaniste, homme politique, scénariste – aurait eu 100 ans. Sa vie et son œuvre, étroitement mêlées, ont été emportées par le souffle de l’Histoire. Un destin exceptionnel mis en images – grâce à de nombreuses archives – dans ce film de Patrick Rotman, ponctué par des extraits de ses longs entretiens avec l’Espagnol engagé. À voir le dimanche 21 janvier à 22.50 sur France 5.

« Jorge Semprún, la plume au poing ». © Cinétévé

Les vies de Jorge Semprún sont multiples. Son parcours singulier est celui d’un homme de lettres et d’action, indissociable des grands combats du siècle dernier. L’historien et réalisateur Patrick Rotman, qui avait déjà réalisé un documentaire sur l’écrivain et militant espagnol, nourrit celui-ci des entretiens menés avec lui en 1995, à Madrid et à Buchenwald, sur les traces de sa déportation. Un film qui raconte, avec la voix de Samuel Labarthe, l’histoire d’un survivant et d’un passionné. Avant-goût de ce que l’on y re-découvre.

Le fils de républicains
Le grand-père maternel, Antonio Maura, fut président du Conseil du roi Alfonso XIII. Mais ses parents étaient de fervents républicains. La famille – sept enfants – vit à Madrid. « Le Prado est au centre de mon passé, de ma mémoire et de mes préoccupations de toutes sortes. » Jorge Semprún perd sa mère à l’âge de 8 ans. 

L’exilé
La guerre civile en 1936 contraint la famille à fuir vers la France. « Sur le quai de Bayonne, je suis devenu rouge espagnol. » À 15 ans, il poursuit sa scolarité au lycée Henri IV, à Paris.

Le résistant
Dans Paris occupé par les Allemands, le jeune Jorge prend contact avec un réseau de résistance anglais en Bourgogne. « À 16 ans, je sais déjà d’où je viens… je suis anti-nazi, je sais qu’un jour ou l’autre il faudra prendre les armes. » Arrêté en 1943, il est torturé, puis déporté début 1944 au camp de Buchenwald.

Le déporté 
Repéré dès le début et protégé par les dirigeants communistes allemands emprisonnés dans le camp. « À partir de ce moment-là, je fais partie de la nomenklatura communiste de Buchenwald. » Il participe au tri des prisonniers et y fait la connaissance du communiste tchèque Josef Frank.

Le militant communiste
L’écriture, qui représentait le salut, l’entraîne pourtant vers la dépression… « Renoncer à écrire, c’était renoncer à être moi-même pour continuer à vivre et à exister… d’où la politique. » Il commence, en 1953, une vie de militant clandestin sous la dictature espagnole. « C’était une manière de vivre comme un personnage de roman. »

La Case du siècle
« Jorge Semprún, la plume au poing ».
© Cinétévé

L’homme politique
Il s’engage au Parti communiste espagnol et devient le responsable du centre clandestin du comité central à Madrid. Il participe aux congrès dans les pays de l’Est et passe ses étés en Crimée. Mais, à partir de 1962, il affiche ses désaccords et se voit en 1964 sommé de faire son autocritique.
En 1988, il sera le ministre de la Culture du socialiste Felipe González.

L’écrivain
« Brusquement, j’ai écrit en trois semaines ce Grand Voyage que je n’avais pas pu écrire avant. » Rédigé à Madrid, Le Grand Voyage  qui raconte les cinq jours de voyage dans un wagon de marchandises vers Buchenwald – est publié en 1963 et aussitôt célébré par la critique.
« La fin de la période politique coïncide avec le début – retardé aussi – de l’écriture. Il y a l’adieu aux armes et le retour à la littérature. »

Le scénariste
Alain Resnais le sollicite pour l’écriture du scénario du film La guerre est finie, dans lequel Jorge Semprún va mettre beaucoup de sa propre histoire. « Montand – qui incarne le personnage principal –, sans le savoir, m’a considérablement aidé à prendre de la distance. » Grâce à lui, il rencontre le réalisateur Costa-Gavras : ensemble, ils écrivent et tournent le film Z qui sera un triomphe.

L’Aveu
Costa-Gavras demande à Semprún d’écrire le scénario de cette adaptation du livre du communiste tchèque Artur London, un des quatorze accusés à tort du procès Slansky, contraints à de faux aveux, selon la méthode stalinienne. Josef Frank, l’ancien compagnon de camp de Jorge, en fait partie et sera exécuté. Semprún, dont l’inaction au moment du procès le hante, s’empare du film comme un exutoire…

Jorge Semprún, la plume au poing

La Case du siècle
« Jorge Semprún, la plume au poing ».
© Cinétévé

Jorge Semprún a tenu le stylo et la mitraillette, connu les honneurs des palais officiels et l’horreur des camps. Il a traversé la guerre civile espagnole, la montée du fascisme, l’occupation et participé à la Résistance. Il a survécu à la déportation, s’est aveuglé dans l’engagement communiste pour en combattre ensuite le totalitarisme. C’est un retour sur ce destin exceptionnel que ce documentaire met en image à travers un va-et-vient à la fois géographique et temporel : de Madrid à Buchenwald, des années 1990 où Patrick Rotman l’interroge aux grandes étapes de sa vie. Un parcours porté par un récit empreint de poésie et d’espérance. À l’occasion du centenaire de la naissance de cet homme singulier.

Documentaire (52 min – inédit – 2022) – Auteur-réalisateur Patrick Rotman – Commentaire Samuel Labarthe – Production Cinétévé, avec la participation de France Télévisions

Jorge Semprún, la plume au poing est diffusé dans La Case du siècle dimanche 21 janvier à 22.50 sur France 5
À voir et revoir sur france.tv

Publié le 18 janvier 2024