« Dans les yeux d’Elsa Triolet » : portrait d’une femme résistante

Louis Aragon l’a aimée comme un fou. Renvoyée au rang de muse du poète, Elsa Triolet est pourtant l’écrivaine d’une œuvre considérable, résistante pendant la guerre et première femme à obtenir le prix Goncourt. Qui se cachait derrière « Les Yeux d’Elsa » ? Nourri d’archives foisonnantes et d’entretiens inédits, le film de Grégory Monro part à la recherche de l’œuvre et de la vie de la jeune bourgeoise russe, débarquée à Paris en 1919. À voir vendredi à 23.05 sur France 5.

Elsa Triolet. © AGIP / Bridgeman Images / Complices Films / INA

Mon sentier est parallèle au chemin de l’Histoire.

Elsa Triolet

D’elle on connaît surtout les mots d’Aragon qui célèbrent son regard. Quarante ans tout juste après la mort de son compagnon de vie, ce documentaire dessine le portrait d’Elsa Triolet, le parcours d’une femme touchante qui fut bien plus que la muse effacée derrière la figure écrasante du poète : écrivaine, engagée et résistante de chaque instant et de tous les fronts.

Lorsque Elsa Triolet arrive à Paris en 1919, la révolution russe a éclaté dans son pays natal. Elle porte le nom de l’officier français avec qui elle vivra moins de deux ans à Tahiti avant que le couple ne se sépare d’un commun accord. Née en 1896, Ella Yourievna Kagan a grandi dans une famille juive et bourgeoise où les voyages et la musique occupaient une grande place. La poésie aussi, qu’elle a toujours aimée, comme celle de Vladimir Maïakovski, son premier grand amour qui demeurera un ami fidèle. « Bien sûr, mes livres sont imprégnés de l’ombre de Maïakovski. »
Mais c’est un poète français qui partagera sa vie. « J’ai voulu connaître l’homme qui a écrit quelque chose – Le Paysan de Paris – qui me semblait une lettre qui m’était adressée. » Aragon plonge alors dans les yeux d’Elsa : « Je m’étais dit : “Cette femme-là, ou ça ira avec elle, ou bien je me tue”… » 
La passion pour l’écriture d’Elsa est mise à mal : ses livres en russe ne se vendent pas et elle est contrainte de faire un choix douloureux :« Il fallait que je me décide : ou ne pas écrire, ou écrire en français… Ce qui était un affreux déchirement, parce que j’avais envie de dire les mêmes choses en russe. C’était comme si j’avais quitté mon pays une deuxième fois. » Lorsque Elsa publie Bonsoir, Thérèse, son premier roman en français, Louis Aragon est stupéfait et découvre la plume forte et originale de son épouse. « Pour moi, la plus violente critique, ça a été chaque fois qu’Elsa a écrit un roman. Chaque fois je me suis senti dépassé, j’ai vu ce que je n’avais pas vu dans ce que je voulais dire avant. »
C’est une femme radieuse qui reçoit le Goncourt, en 1945, pour Le premier accroc coûte deux cents francs, recueil de nouvelles. Pourtant, elle déchantera vite… « On dit qu’on a donné le prix Goncourt à une résistante, à une juive, à la femme d’Aragon, raconte l’auteure Louise Guillemot, comme si finalement on ne lui avait pas donné son prix Goncourt pour des raisons proprement littéraires. »    
Ponctué des extraits de l’œuvre d’Elsa lus par une comédienne, ce documentaire raconte à travers les nombreuses archives filmées de l’écrivaine, seule ou avec Aragon, la résistante qu’elle fut pendant la guerre, la femme engagée de tous les combats et l’auteure prolifique. Il faut revoir aussi Elsa Triolet chez Denise Glaser avec Jeanne Moreau, à ses côtés chantant un extrait de son livre Les Manigances« Je pense que la peinture, comme la musique, peuvent élargir ce qui manque au langage », déclare-t-elle alors.
« Elsa écrit de façon assez inclassable, souligne Irène Sokologorsky, rédactrice en chef de Lettres russes et amie d’Elsa, parce qu’il y a une clarté de l’écriture. Et en même temps, à travers la construction de ses romans, elle crée un mystère, une épaisseur de la pensée, des sentiments…  C’est une véritable modernité qui n’a pas d’égal à l’époque. » Pour Louise Guillemot, « peut-être qu’il y a chez Elsa Triolet un pessimisme de la vision du réel du monde tel qu’il va, et un optimisme de l’imagination, de l’action, de la volonté. Il y a toujours ce désir et ce rêve de voir l’avenir. » 

C’est une femme qui a toute sa vie combattu pour ses idées, pour défendre tout ce qu’elle voulait défendre.

Aux arts et cætera : Dans les yeux d’Elsa Triolet (inédit)

« Dans les yeux d'Elsa Triolet »
Elsa Triolet
© RMN /Fonds MCC/IMEC / Gisèle Freund - Complices Fil

Documentaire (60 min – 2022) – Auteur-réalisateur Grégory Monro – Production Complices Films et INA, avec la participation de France Télévisions

Diffusion vendredi 2 décembre à 23.05 sur France 5
À voir et revoir sur france.tv

Publié le 01 décembre 2022
Commentaires