« L’Étranger » – Rencontre avec Benjamin Voisin et François Ozon
Comment adapter un monument de la littérature française comme « L’Étranger » de Camus au cinéma ? France TV & Vous a directement posé la question à François Ozon et Benjamin Voisin. Au fil de la discussion, le réalisateur et le comédien reviennent sur le défi de transposer ce roman emblématique à l’écran, les choix de mise en scène et la manière dont le film propose un autre regard sur cet homme en décalage avec la société qui l’entoure.
Benjamin Voisin : J’aime beaucoup mentir, j’aime être séduit, j’aime séduire. Je suis un acteur, mon métier est basé sur le désir. C’est complètement l’opposé de Meursault.
François Ozon : Si vous m’aviez dit il y a deux ou trois ans : « Tu vas réaliser L’Étranger », j’aurais dit : « Vous êtes dingue, c’est un chef-d’œuvre de littérature. On s’attaque pas à ça. » Mais ce qui m’a amené au livre, c’est vraiment le personnage de Meursault, le défi d’incarner ce personnage, de voir si on pouvait s’identifier à un anti-héros, et si ça pouvait fonctionner au cinéma, qui est un art qui fonctionne sur l’identification, sur l’empathie.
B. V. : Honnêtement, je suis très content que le film n’ait pas la prétention de répondre aux questions de L’Étranger, parce que je crois que c’est impossible, mais offre un autre prisme, un autre regard sur cet homme qui est en deuil déjà d’une société qu’il n’aime pas.
B. V. : Pendant quatre mois, j’ai essayé d’être le plus lourd et le plus sombre possible, en effaçant un peu la légèreté de vivre que je m’applique tous les jours depuis trente ans, et ça ferme beaucoup de portes, ça crée un truc assez étrange, mais au moins ça permettait que quand j’arrive sur le plateau de François je n’aie pas à jouer.
F. O. : C’était un vrai rôle de composition, je pense, pour Benjamin, effectivement, qui a une nature plutôt expansive et extravertie. Et là, je lui ai demandé d’être dans l’intériorité, de ne pas jouer, d’être un peu comme un modèle de Robert Bresson. Et je crois que ça a été compliqué pour lui.
B. V. : C’est beaucoup mieux dit, ce que tu as dit. « Expansive et extravertie », c’est mieux que… Qu’est-ce que je raconte ?!
F. O. : Il est fatigué, il est fatigué.
B. V. : Tout est dit, tout est dit.
B. V. : Tout ce qui est visible ne m’intéressait pas. Tout ce qui est concret entre les hommes ne m’intéressait pas. Ce qui m’intéressait, c’était au-delà. Je me suis contenté d’aller trouver cette âme poétique que Meursault peut avoir, mais qui est pointée du doigt parce que pas justifiable dans une société comme la nôtre.
F. O. : Tous les personnages masculins du film étaient assez toxiques. Il y en a un qui tape sa femme, l’autre qui tape son chien et lui qui tue un Arabe à cause du soleil. C’est quand même difficile de s’identifier à tous ces hommes. Donc je suis allé rechercher ces personnages féminins qui sont un peu dans l’ombre et je les ai mis en lumière et je leur ai donné une conscience. J’ai fait en sorte que ces femmes, peut-être, soient plus intelligentes et aient plus conscience de la situation politique et sociale qui est en jeu dans cette Algérie française.
F. O. : On se rend compte que tout le monde a sa propre vision de L’Étranger. Chacun l’a mis en scène dans sa tête, chacun a visualisé le Meursault de sa lecture. Alors c’est assez passionnant parce qu’il y a beaucoup d’interactions. On s’en rend compte avec le public, avec les journalistes, les gens ont beaucoup de questions, s’interrogent. Je pense que c’est un livre qui a marqué et qui marque toujours les gens. C’est un livre assez radical, mais néanmoins qui a touché un public très large.
B. V. : C’est une très bonne réponse. Je pense que je n’aurais pas mieux.
L'histoire du film
Alger, 1938. Meursault, un jeune homme d’une trentaine d’années, modeste employé, enterre sa mère sans manifester la moindre émotion. Le lendemain, il entame une liaison avec Marie, une collègue de bureau. Puis il reprend sa vie de tous les jours. Mais son voisin, Raymond Sintès vient perturber son quotidien en l’entraînant dans des histoires louches jusqu’à un drame sur une plage, sous un soleil de plomb…