L'equipe

LES AUTEURS – CHARLES AYATS

Un premier voyage au Japon marque souvent les esprits. Pour un passionné de japanimation et de manga, la surprise est d’autant plus grande, car l’on vit un sentiment de déjà-vu. La ville s'arpente comme si l’on était déjà venu, plusieurs fois, ou dans plusieurs vies. Rêve et réalité se confondent comme dans les fables de l’illusionniste Satoshi Kon (Paprika, Millenium Actress,..) alors même que la mémoire essaye de s'agripper où elle peut ,comme dans les films de Mamoru Oshii (Innocence, Avalon,...).

Cette sensation d’altération des perceptions est commune aux expériences de réalité virtuelle, comme une sorte de lag entre le corps et l’esprit. Quand l’esprit vagabonde, jusqu’où peut-il nous emmener ?

7 Lives explore une narration par le ressenti, en partant d’un moment physique et émotionnel radical : qu’éprouve-t-on lors d’une expérience de mort imminente ? Cet événement n’est pas le cœur de l’expérience, mais un point de départ. Notre projet n’était pas de déployer un univers morbide mais au contraire, d’imaginer un mode de perception inédit, d’accéder à une nouvelle forme de sensibilité.

La réalité virtuelle est un média où l’exploration entre spiritualité et sensorialité est évidente. Par son dispositif et ses possibilités, elle interroge notre perception du monde et nous conduit à redéfinir un nouveau rapport entre corps et esprit. Une de ses particularités fondamentales est la prise en compte dans la narration de la position et des gestes du spectateur.

Dans 7 Lives, la progression de l’histoire nécessite une exploration proactive dans l’image 360°, mais aussi, le déplacement de notre avatar (invisible) pour accéder à la suite de la narration. Cette expérience est construite sur l’hybridation entre usages cinématographiques et mécaniques de jeux vidéo.

On peut y voir un parallèle entre l'héroïne qui “subit” la linéarité de sa vie - prisonnière de son corps-, avant l’accident, puis, le moment où elle reprend possession de son libre arbitre pour mieux se soigner -par la maîtrise de son esprit- (techniquement, via l'interactif et plus particulièrement par ses actions en temps réel, prises en compte dans le récit).

Si récente soit elle, la VR dispose déjà d’un large panel de spécificités, à exploiter -ou non- selon la proposition narrative. Dans 7 Lives, nous nous sommes focalisés sur l’incarnation qui passe par un point de vue à la première personne pour pouvoir ensuite amplifier la sensation d'ex-corporation. Au fil de l’écriture nous avons privilégié cette approche sensitive, où les personnages et la trame narrative classique passeraient au second plan, pour que ce soit l’environnement et les réactions physiques des personnages qui portent l’histoire. C’est ainsi que nous pouvions susciter l’introspection et l’effet de présence que nous voulions atteindre.

Ce travail d’écriture a été peaufiné jusqu’à la fin de la post production. Par exemple, en programmant des effets spéciaux qui réagissent, en temps réel, selon l’action du joueur. Il y’a là un changement de paradigme puisque la prise en compte du spectateur n’est plus uniquement sur sa compréhension de l’histoire et la gestion de sa charge émotionnelle, mais sur son implication à oeuvrer pour l’histoire.

Charles Ayats

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LES AUTEURS – SABRINA CALVO

Je ne me souviens pas de 7 lives. Disons, que je ne me souviens pas de l'avoir écrit, conçu ou rêvé. L’expérience est juste là aujourd’hui, comme une inspiration.

D’où vient ce projet ? D’une envie essentielle : approcher la VR non comme un médium de narration, mais comme une façon de faire vivre l’invisible. De poser les bases d’une exploration de l’âme. Et pour cela, d’établir des ponts entre la spiritualité occidentale et la spiritualité orientale, qu’on oppose souvent. Pour faire court, la spiritualité orientale envisage la réalité comme un tout, en interdépendance. En Occident, les religions sont révélées, la spiritualité passe par des objets indépendants, qui se transforment. L’accent mis par l’Orient sur l’espace, ses métaphores « environnementales », semblaient adaptée au support VR, tout comme l’abstraction occidentale permettant une fragmentation de l’interaction et de l’expérience propre au virtuel. Je ne crois pas à la dualité, et l’intention était bien de montrer que ces deux approches sont des facettes d’un diamant. Qu’une forme de flou, de nuance, est nécessaire pour aborder ces questions, où toutes nos références et nos certitudes doivent s’effacer.

Depuis le début, je savais que cette "opération" n'était pas destinée à être vécue comme une histoire, plutôt comme un vertige face à l’autre rive. Une porte ouverte vers un état de conscience, et il me semblait que la VR, du moins cette chose que nous appelons VR à défaut d'une autre, ce parent pauvre d'une tranche totale de pensée active, était appropriée. Parce qu'il fallait rester radicales dans la formulation et l'exécution, sans céder à la linéarité où à la dramaturgie. Aucune des règles de narration traditionnelle ne pouvaient s'appliquer à ce que nous voulions faire. Comme toute forme d’envie d’absolu, il fallait avant tout respecter ce que le projet nous disait de lui-même, le laisser faire. Ne pas laisser la source vive se tarir mais bien l’encourager à glouglouter, encore et encore, sans la normer, sans la glisser dans les costumes trop serrés du sensationnel.

Aujourd'hui que l'opération est complète, que le “système”, puisque c'en est un, termine et recommence sa boucle autour de la joueuse et du joueur, j'essaye de comprendre, au fond, pourquoi nous l'avons fait, si ça en valait le coup (je ne me pose plus la question de si c’est réussi, car c’est bien cela qui nous a toujours échappé). La réponse est oui, oui, oui. Et pourtant, et pourtant. 7 lives a été arraché à un pan du réel, pour être donné à voir, à vivre. C'est un bout d'intuition, incarné. On a eu de la chance, je pense, de pouvoir se dire que ça existe. Que peut-être, ce sera de l'invisible à jouer, pendant quelques minutes de notre temps. Une ritournelle à peine enfantée en unités, juxtaposées. Tous ces gens, toutes ces mains, tricotant le virtuel pour lui donner un sens, même un non-sens.

7 lives aujourd'hui, ce sont toutes ces vies et ces talents qui ne sont pas les miens, tous ces vécus à venir et ces témoignages - on en voit déjà qui veulent y plaquer une logique, d’autres qui se laissent porter. Tous ces choix et ces décisions, autour de l'objet même de l'opération. Ça nous a permis de nous interroger, au moins, sur le sens. Ça nous a mis, au moins, face au mur. Tout ce qui est né, comme relations, comme intensité, comme respect, comme salutation. Autant de vies ensemble autour d'un trou noir, la persistance de l'âme mouillée dans le sec.

C'est ça, dont il faut que je me souvienne. Ça valait le coup.

Sabrina Calvo

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LE REALISATEUR - JAN KOUNEN

La réalité virtuelle n’est pas une façon d’ « augmenter » le cinéma, c’est une nouvelle façon de proposer des histoires et des expériences, avec un langage propre.

Depuis que les films existent, nous travaillons dans l’espace d’un écran, et n’avons pas cessé de jouer avec les limites du cadre. Les expériences à 360° changent complètement la donne : un film en réalité virtuelle se stocke dans l’esprit du spectateur comme un souvenir vécu. Nous pouvons susciter des sensations et des émotions avec une profondeur et une poésie jamais vues, ou plutôt, jamais éprouvées. Ces nouveaux outils offrent beaucoup de possibilités pour continuer le travail sur les états modifiés de conscience que j’ai commencé depuis Blueberry, en documentaire comme en fiction (D’autres mondes, 99 francs…).

7 lives fait écho à ce travail d’exploration d’ « autres réalités » de deux manières.

Il s’agit d’abord de retranscrire un état limite de conscience, celui d’une expérience après la mort qui a déjà été beaucoup traité par le cinéma. Mais ici, l’expérience de sortie du corps ne fait pas de référence aux mythologies très connues (tunnel lumineux, fantôme...). L’idée est plutôt de dire qu’il n’y a qu’une très mince frontière qui sépare le monde des vivants et des morts. Une perte de repères.

Le second axe de recherche concerne la mémoire. A l’intérieur de chacun des personnages, il y a un souvenir qu’il faut rendre accessible tout en montrant le travail de déformation du temps et des perceptions. Pour la mise en scène des souvenirs des personnages, nous avons longuement réfléchi à la façon dont nous pouvions faire comprendre, sans qu’il y ait besoin de mots, les différentes situations et mémoires visitées.

Le tournage s’est révélé assez proche de ce que l’on sait faire au cinéma : l’équipe que j’ai réunie, la mise en scène et la direction des acteurs ne changent pas vraiment sur un tournage de réalité virtuelle. Le dispositif en revanche est un peu particulier, j’étais le seul à pouvoir avoir le retour directement dans le casque. Les scènes ayant lieu à la première personne, j’étais dans la position du personnage pour pouvoir en retrouver les sensations, mais aussi déjà à la place du spectateur, et devais faire attention non pas au cadre mais plutôt à tous les détails qui pouvaient l’interpeller. Cela nous a rapproché un peu d’une mise en scène de théâtre, où il n‘y a pas de focus dirigé sur une action mais une multitude de regards possibles. Nous avons aussi travaillé en post production, à travers le moteur de jeu Unity, pour que le film réagisse en fonction du regard du spectateur.

Ce travail de mise en scène a été passionnant, il fallait réinventer une façon de se souvenir personnages par personnages, rendre palpable des émotions et des contextes. En la matière, le savoir faire du cinéma a beaucoup à apporter aux expériences immersives.

Jan Kounen

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LA DIRECTION SONORE – FRANCK WEBER

7 Lives est une rencontre entre un format narratif linéaire, le cinéma, et un modèle non linéaire, le jeu vidéo. Le cinéma apporte son continuum et sa dramaturgie. Le jeu vidéo engage une narration spatialisée, des interactions et la temporalité flexible du joueur. Ce mariage narratif, à travers la VR, a été pour nous un chantier d’expérimentation sonore expressioniste.

La position centrale de l’observateur et sa vision à 360 degrés nous ont conduit à construire un montage et un mixage entièrement spatialisé : une partie a été faite en auditorium et l'autre directement intégrée dans le moteur 3D Unity. L’expérience sonore s’est construite à partir d’un système de règles (système sonore) puis d’innombrables allers retours entre l’expérience immersive et le banc de montage. Les outils n’étant pas encore optimisés pour ce travail, j’ai parfois travaillé à partir de mes propres souvenirs des images et des moments vécus.

Ma fonction était aussi hybride que le projet lui même : direction sonore, avec la création d’un système interactif ; coordination du travail de captation, de montage et de mix ; mise en son et intégration de toutes les composantes sonores (SFX, sound design, musique…) ; construction des outils de travail.

Dans 7 lives, on passe d’un monde à un autre, d’une conscience à une autre, d’une personne à une autre. Les identités sont imbriquées. Le son est une signalétique à travers ce labyrinthe de personnalités gigognes. Un fil d’Ariane. Ou plutôt, 7 fils d’Ariane sonores tendus entre des moments de vie. Nous avons ainsi construit la proposition sonore générale à partir de sons propres à chaque personnage, échantillonnés sur le montage des scènes de souvenir. L'ensemble du sound design mélodique est issu de ces "directs". Certains samples sont lus à vitesse normale, d'autres à des vitesses très lente, jusqu'à s'immobiliser. Cette technique a permis de donner à chaque monde et à chaque personnage sa propre vibration et sa propre « sensation temporelle ».

Dans l’expérience, les moments de liberté et de contraintes participent entièrement de l'écriture sonore. Selon le lieu, notre emprise sur le son est différente. Enfermée dans un souvenir traumatique, nous subissons la narration et encaissons des bruits parasites masquant la porte de sortie. Dans un moment de plénitude, nous sommes libre de faire évoluer le paysage sonore à notre gré. Ainsi, plus notre conscience est libérée dans le récit, plus nous libérons la capacité du joueur à changer son environnement sonore.

Dans certaines scènes, nous activons par nos mouvements des sons proches de nous. Ces bruits, au fonctionnement dynamique, permettent de se trouver ou de se perdre, tantôt de surprendre, tantôt de renforcer un effet hypnotique. C'est grâce à l’enregistrement de certaines sources en binaural dit « natif » que nous avons pu retranscrire fidèlement l’espace des derniers centimètres d’écoute (entre 0 et 1m20 de nous). En diffusant les sons des scènes de direct dans des enceintes mobiles déplacées autour de la tête binaurale, nous avons également pu produire des effets de sound design contrastés.

A certains endroits de l’expérience le spectateur est rendu à une écoute plus calme et attentive, un temps de pause sortant de l’hystérie traumatique. Pour les personnages, il s’agit de moments de présence intime et infinie. Afin de rendre cette présence palpable, nous avons mis en place un outil simple pour amplifier "l’impression de spatialisation" selon la position du joueur. Ce dispositif permet de faire apparaître des zones habituellement peu audibles des paysages sonores 3D (comme le haut et le bas), mais aussi de déléguer une part de la narration au joueur.

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LA POST PRODUCTION – SMALL STUDIO

Créée il y a presque 4 ans, Small est un studio hybride, mélangeant les techniques d’effets spéciaux classiques – nous sommes un label de MacGuff – aux techniques venues du jeu vidéo. La VR est pour nous la première technologie qui permet une alliance entre ces deux mondes.

La VR en général demande un travail de préparation spécifique, où la post production, doit intervenir très en amont. Sur 7 LIves, nous avons eu la chance d’arriver très tôt sur le projet, en participant au travail de création à partir des éléments écrits, puis, sur le tournage, à travers un dialogue direct avec le réalisateur et la production, à la façon d’un long métrage. Techniquement, nous avons découvert une nouvelle caméra, la Google Yi-Halo. Elle est l’une des seules aujourd’hui à permettre une prise de vue 360 stéréoscopique qui respecte les échelles avec une qualité d’image digne de ce nom. Le workflow, utilisant la puissant de calcul de Google, nous a évité de gérer les problèmes de stitch auxquels nous nous étions confrontés lors du prototype il y a deux ans.

Chaque expérience VR demande son propre système de travail. Ici nous avons du repenser la façon d’opérer sur le montage. Le nombre de couches ainsi que la taille des images posant problème sur un logiciel de montage classique. Nous avons du passer sur le logiciel de finalisation Flame qui permet de gérer le multi-couche plus facilement ainsi que la taille d’image, du 5K carré, en l’occurrence.

La spécificité d’un projet comme 7 lives tient aussi au poids à traiter par les serveurs, induit à la fois par leur taille et leur nombre (60 images par secondes). A la fin du projet nous avions 17 To de données sur nos serveurs. En moyenne, un long métrage pèse 4 à 5 To. Les temps de calcul des plans ont en grande partie allongé la durée de la postproduction.

Créativement, 7 lives est le premier projet sur lequel nous avons expérimenté des techniques radicalement différentes de celles d’un film. L’intégration des images dans le moteur de jeu Unity nous a permis d’utiliser des shaders temps réel qui s’adaptent à l’utilisateur (notamment sur les effets de flous qui brouillent partiellement la vision lorsqu’il bouge la tête). Nous ne sommes pas face à un film 360 mais bien une expérience de réalité virtuelle, où le spectateur participe lui aussi à la mise en scène.

Nous avons également pu proposer au réalisateur de mixer des effets de déformation de la sphère 360 en temps réel, au fur et à mesure où il regardait l’expérience au casque. Cela a permis jusqu’au bout de travailler le rendu des images au service des sensations.

La réalité virtuelle a des potentiels encore peu exploité : 7 lives nous a permis à la fois d’entamer un travail de création et de recherche important, mais aussi de construire une méthode de travail qui sera utile pour toutes les expériences à venir.

Vincent Guttmann

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