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Cela faisait 15 ans que Karim Ben Khelifa couvrait les conflits en tant que photoreporter. Sur la bande de Gaza, face à une scène comme il en avait probablement déjà capturées des dizaines auparavant, lui est venu le désir de vraiment faire la différence. The Enemy, un projet documentaire en réalité virtuelle et augmentée coproduit par la direction des Nouvelles Ecritures de France Télévisions, en est le résultat.

"Dans une pièce, deux combattants se font face. Vous êtes au centre. Allez à leur rencontre, écoutez-les parler des raisons qui les ont amenés à se battre, à défendre un territoire, une ville, une famille... pour la paix."

Au départ, cela se limitait au photojournalisme : portraits d'ennemis. Le tout était accompagné de la même série de six questions, posées inlassablement aux deux adversaires : qui est votre ennemi et pourquoi ? Que signifie la paix pour vous ? Avez-vous déjà tué un de vos ennemis ? Où vous voyez-vous dans 20 ans ? Ces conflits séculaires ont maintenant un visage.

Néanmoins, nous avons dû aller plus loin pour que cela ne reste pas lettre morte. Karim Ben Kalifa avait l'expérience du terrain. Palestine, Irak, Afghanistan ou Corée du Nord : il avait couvert tous ces sujets pour des publications prestigieuses telles que Le Monde, New York Magazine ou Newsweek. Il voulait maintenant traduire le plus fidèlement possible ce qu'il ressentait sur le terrain en une expérience aussi vraie que la nature elle-même. Il devait aller au-delà du seul photojournalisme. C'est cette volonté de promouvoir la paix qui a justifié le soutien apporté par le Fonds européen d'innovation pour l'information numérique de Google pour la promouvoir dans les régions concernées.

Cela explique l'ampleur du projet, coproduit au niveau international par France Télévisions, Caméra Lucida, ONF, Emissive, DPT et le soutien du MIT. Ces images de guerre et les souffrances qu'elles engendrent ont dû faire bouger les lignes. Elles devaient rendre réels les fronts lointains, permettre aux zones de conflit de devenir, indirectement, un outil de réconciliation.

Le choix des technologies immersives est rapidement devenu évident pour ce projet, qui sera adapté aux VR pour une exposition itinérante autour du monde à partir de 2013. Les habitants de Tel-Aviv, New York, Boston et bientôt du Canada ont pu vivre cette installation de 50 minutes équipée d'un casque qui les projette dans une pièce au décor sobre, à mi-chemin entre deux combattants ennemis.

Cette installation de pointe combine pour la première fois le VR et la reconstruction en 3D à partir d'une capture documentaire sur le terrain. The Enemy utilise également l'intelligence artificielle et les travaux de Fox Harrell, chercheur associé au MIT, pour offrir à chaque visiteur une expérience unique : son comportement, enregistré tout au long de l'expérience, définit l'épilogue qu'il va vivre.

Une expérience en réalité augmentée via une application avait également été développée, utilisant notament les dernières fonctionnalités du kit Apple AR. L'objectif ? Permettre aux ennemis historiques de s'affronter et de dialoguer en dehors du champ de bataille. Et surtout, offrir au grand public une lecture différente de la guerre : sans jugement, sans remise en cause, tout en donnant la parole à ceux qui, habituellement, ne la prennent pas et s'expriment par le seul biais du combat armé.

Techniquement, cela implique son lot de difficultés. Les enregistrements devaient être réalisés dans des lieux inaccessibles et dangereux pour permettre la numérisation des combattants, dans des conditions éloignées de celles d'un studio classique.

Ce genre de situation serait tout simplement impossible dans le monde réel. Le dialogue qui fait défaut dans les conflits entre Israël et la Palestine, au Salvador et en République démocratique du Congo se fera donc de manière virtuelle. Ces causes désincarnées prennent ainsi un visage humain, celui d'un destin individuel pris dans un mouvement qui le dépasse largement.

Pour Ben Khelifa, c'est un moyen d'atteindre la jeune génération, celle qui pourrait bientôt décider de rejoindre les rangs des combattants comme les précédents, nés avec un ennemi prédéfini et pourtant inconnu.

A terme, l'expérience pourrait aller plus loin avec l'aide des neurosciences en enregistrant puis en interprétant les réactions physiologiques des différents participants. Quel que soit leur biais initial, l'empathie générée pourrait être surprenante car elle est universel.

Application de réalité augmentée

Pour plus d'informations, visitez le site officiel.