« Marion, 13 ans pour toujours » : le harcèlement scolaire est l'affaire de tous

Marion Fraisse avait 13 ans quand elle s’est pendue, le 13 février 2013, laissant une lettre adressée à ses camarades de classe qui l’avaient harcelée. Adapté du récit de sa mère, Nora Fraisse, ce film, réalisé par Bourlem Guerdjou et écrit par Lorraine Lévy, raconte l’enquête et le combat d’une mère (interprétée par Julie Gayet) pour comprendre la violence inexprimable vécue par son enfant et faire tomber le mur du silence. Mercredi 1er mai à 22.40 sur France 2.

« Marion, 13 ans pour toujours » © EuropaCorp Television/ FTV

Entretien avec Nora Fraisse

Ce téléfilm est tiré de votre livre publié en 2015. Pourquoi avoir accepté cette adaptation à la télévision ?
Nora Fraisse
: Le choix n’a pas été facile... Ma maison d’édition, ma famille et moi avons été étonnés du succès du livre. Je le pensais destiné à un public restreint, surtout des adultes, et n’imaginais pas qu’autant de jeunes le liraient. Ils se sont emparés de l’histoire de Marion, certains s’y sont reconnus, d’autres ont pris la mesure de la gravité du harcèlement scolaire et du cyber-harcèlement… Une adaptation pour la télévision nous est alors apparue comme l’occasion, pour ceux qui ne lisent pas, d’avoir accès à mon témoignage. Je le déplore souvent, on manque d’actions de prévention contre le harcèlement à l’école. Au-delà du cas personnel de Marion, je pense que ce film peut tenir un rôle pédagogique et toucher un large public. J’avais déjà participé, sur France 2, aux côtés d’autres familles et d’autres jeunes, au documentaire, diffusé dans « Infrarouge » et consacré aux élèves souffre-douleur. C’était une manière pour moi de dire que le harcèlement existe, qu’il n’arrive pas qu’aux autres… Ce film, je le vois comme une continuité, une forme de prévention supplémentaire. J’espère que les jeunes le regarderont, leurs parents aussi. C’est quoi le harcèlement à l’école ? Comment ça fonctionne ? Pourquoi c’est grave ? Quels sont les risques ?

Avez-vous pris part au travail d’adaptation ?
N. F. : Plusieurs producteurs nous ont contactés pour porter mon livre à l’écran, mais nous avons choisi le projet d’Europacorp Television, réalisé par Bourlem Guerdjou et écrit par Lorraine Lévy. Il était le plus respectueux de notre exigence : un scénario au plus près du livre, de la réalité. Lorraine me l’a fait lire. Bien sûr, pour les besoins de la réalisation, de la mise en scène, il y avait un petit décalage avec le livre, mais pour moi, il respecte complètement l’histoire de Marion. J’ai été extrêmement touchée quand j’ai vu le film. Il est sobre, juste, digne, et sa grande force est d’éviter le pathos. Il parle aussi, à la fois, du combat et de la lâcheté, nous interrogeant sur notre place de citoyen. Doit-on laisser faire, doit-on réagir ? Pour moi, c’est un film qui a plusieurs lectures.

Que pensez-vous du casting ?
N. F. : J’avais un droit de regard sur le choix des comédiens qui interprètent ma famille. J’ai vu les essais de Luàna Bajrami et de Fabrizio Rongione, dans les rôles de Marion et de mon mari. Leur extrême justesse m’a bluffée. Quant à mon rôle, j’étais tout à fait convaincue par le choix de Julie Gayet, une comédienne que je sais engagée et féministe. Ma visite sur le tournage a été un moment douloureux mais très émouvant. Les scènes avec Luàna, Clarisse et Baptiste, la sœur et le frère de Marion, m’ont particulièrement touchée. J’ai trouvé ces tout jeunes comédiens formidables.

Le film se termine sur le début de votre combat contre le harcèlement scolaire. Que s’est-il passé depuis ?
N. F. : Pour moi, tout dépasse l’entendement. D’abord la mort de Marion dont on ne se remettra jamais. Puis, le succès inattendu du livre, l’intérêt de producteurs pour porter notre histoire à l’écran, et l’ampleur nationale que prend mon association, « Marion la main tendue ». Depuis plusieurs mois, je suis tout le temps sur le terrain, à faire de la sensibilisation auprès d’élèves, de la primaire à la terminale, et du grand public. Et plus je me déplace dans les écoles, plus je prends la mesure de l’urgence d’agir contre le harcèlement et les violences scolaires. D’autant que la volonté des pouvoirs publics de s’investir dans cette cause n’est pas efficiente. Par exemple, il n’y a quasiment plus de médecine scolaire. Et les professeurs et encadrants pédagogiques ne sont pas systématiquement ou insuffisamment formés pour y faire face. Suite à une pétition que j’ai initiée, un numéro court d’aide aux victimes, le 30 20, a été mis en place. Mais l’amplitude horaire (9h-18h) du service n’est pas du tout adéquate, c’est juste le moment où nos enfants sont à l’école. Aujourd’hui, une autre partie de mon combat est d’essayer de convaincre le Conseil de l’Europe de mener une politique globale contre le harcèlement scolaire à l’échelle de son territoire. Comme je le rappelle dans ma tribune du 23 mai 2016 du Huffington Post : « Le harcèlement à l’école n’est pas “qu’une histoire de gamins” mais l’affaire de tous. »

Propos recueillis par Sylvie Tournier (juillet 2016)

Marion, 13 ans pour toujours

Fiction (2016) – Réalisation Bourlem Guerdjou – Scénario Lorraine Lévy – D’après le récit de Nora Fraisse, recueilli par Jacqueline Rémy, publié aux éditions Calmann-Lévy – Une production Europacorp Television – Avec la participation de France 3 et TV5 Monde – En association avec Cinémage 11 – Avec le soutien de la Région Île-de-France – En partenariat avec le CNC

Avec notamment Julie Gayet (Nora), Fabrizio Rongione (David), Luàna Bajrami (Marion), Alice Perez-Malartre (Clarisse), Tatiana Rojo (Zahia), Xavier Robic (le principal)... 

Diffusion  mercredi 1er mai à 22.40 sur France 2
À voir et à revoir sur france.tv