« La révolution des Œillets » : il y a 50 ans, le Portugal renversait la dictature

C'est l'une des plus belles pages de l'histoire portugaise et sans doute la plus magnifique des révolutions. À l'aide de très riches archives filmées, sonores et photographiques, le documentaire de Bruno Lorvão et Paul Le Grouyer replace la journée du 25 avril 1974 dans le contexte de la fin de l'État policier et colonial salazariste, en présente les protagonistes, et en retrace l'incroyable déroulement. Dimanche 28 avril, dans « La Case du siècle », à 23.00 sur France 5.

« La révolution des Œillets » DR

Au début des années 1970, le Portugal est un pays paradoxal et malade. Premier et dernier empire colonial européen, il donne à voir, dans ses villes africaines modernes, une société multiraciale harmonieuse : « les Noirs ont la peau cuivrée, les Blancs ont la peau cuivrée », répète-t-on. Mais c’est une égalité de façade et de propagande qui cache mal la brutalité de la domination et l’avidité de l’exploitation du coton, du café et du pétrole. Depuis 1961, l’Angola, le Mozambique et la Guinée-Bissau réclament leur indépendance par les armes et le Portugal s’enlise dans ce « Vietnam africain » sans issue où il sacrifie une partie de sa jeunesse et le tiers de son budget.
Tandis que ses colonies s’embrasent, la métropole est asphyxiée par une interminable dictature mise en place au milieu des années 20 par António de Oliveira Salazar. La réalité de l’Estado Novo, c’est un pays archaïque, une agriculture sous-développée, une industrie qui offre les plus bas salaires du continent et emploie des enfants à partir de 12 ans, une pauvreté écrasante et un analphabétisme massif.
Salazar est mort durant l’été 1970, mais son successeur, Marcelo Caetano, tient ce régime à bout de souffle de la même main de fer : liberté proscrite, syndicats éliminés, opposition étranglée, Parti communiste illégal, vente de Coca-Cola interdite ! Les geôles du régime ont vu passer, dit-on, 30 000 prisonniers politiques et la torture y est courante. Fuyant la misère, la police politique (PIDE : Polícia internacional e de defesa do estado) et la conscription, les Portugais émigrent en masse vers la France, l’Allemagne, le Luxembourg...

Grândola, Vila Morena

Terra da fraternidade

O povo é quem mais ordena

Dentro de ti, ó cidade

(...)

Em cada esquina um amigo

Em cada rosto igualdade

Grândola, Vila Morena

Terra da fraternidade

 

 

Grândola, ville brune,

Terre de fraternité

C’est le peuple qui commande,

En ton sein, ô cité

(...)

À chaque coin de rue un ami,

Sur chaque visage l’égalité

Grândola, ville brune,

Terre de fraternité

Zeca Afonso, Grândola, Vila Morena (1971)

L’élan révolutionnaire vient à la fois des colonies et de l’armée : de hauts gradés comme le chef d’état major général et commandant des forces armées en Angola, Francisco da Costa Gomes, ou le général António de Spínola – tous deux rapidement limogés par Caetano –, mais surtout de jeunes officiers, les « capitaines », issus pour beaucoup de milieux populaires, écœurés par treize ans d’une guerre sale, inutile et ruineuse et réunis secrètement au sein du Mouvement des Forces armées (MFA). Après le fiasco d’une tentative de coup d’État improvisée, en mars 1974, le régime est en alerte, il faut faire vite. Le major Otelo Saraiva de Carvalho (nom de code : « Oscar ») rédige un plan d’action qui ne laisse rien au hasard ou à l’improvisation et tente de pallier des moyens limités.
Peu après minuit, le 25 avril, Radio Renascença diffuse une chanson de Zeco Afonso, enregistrée en France et interdite par le régime, qui juge son auteur coupable de sympathies communistes, Grândola, Vila Morena. C’est le signal, particulièrement bien choisi. Entre 3 et 4 000 soldats se dirigent vers le centre de Lisbonne. En quelques heures, radios, télévision, banques, aéroport, tous les lieux stratégiques sont sous contrôle. Le capitaine Salgueiro Maia investit sans rencontrer de résistance la place du Commerce, siège des ministères et de la mairie, avec seulement trois blindés légers et rallie les militaires envoyés pour s’interposer. La suite est presque trop belle pour être vraie : des blindés avançant sans heurts, et parfois se perdant dans les rues étroites, rejoints par une foule en liesse distribuant des petits pains et des fleurs (des œillets rouges) aux « capitaines », dont beaucoup ne sont guère que des gamins, des pleurs de joie, un dictateur (nom de code : « Lapin ») terré au quartier général de la Garde républicaine et qui finit par se rendre, avant d’être exfiltré dans un blindé. Une journée folle avec ses coups de théâtre – les blindés qui ont reçu l’ordre de faire feu sur Maia et ses hommes rejoignent in extremis l’insurrection –, ses gags – les soldats loyalistes envoyés sauver Caetano sont bloqués par la foule qui les prend pour des insurgés – et ses drames – des agents de la PIDE, retranchés, tirent sur des manifestants : 5 morts. Difficile, aujourd’hui encore de regarder d’un œil sec les images de cette révolution digne, pacifique et heureuse.
À 18 h 40, la télévision nationale annonce officiellement la fin de près d’un demi-siècle de dictature.

La Révolution des Œillets

Documentaire (2024 – inédit) – Durée 52 min – Un film de Bruno Lorvão et Paul Le Grouyer – Conseiller historique Yves Léonard – Musique originale Lucien Guirado Azuelos (Éditions Cinétévé) – Commentaire dit par Flora Thomas – Production Cinétévé – Avec la participation de France Télévisions – Avec le soutien de la Procirep, de l’Angoa – En partenariat avec le CNC et la RTBF, de Asharq News Services et de AMC Networks Spain

Diffusé dimanche 28 avril, dans « La Case du siècle », à 23.00 sur France 5
À voir et à revoir sur france.tv 

Publié par Christophe Kechroud-Gibassier