Voyage interdit au sein de la génération Z iranienne : « Nous, jeunesse(s) d'Iran »

Qui sont ces jeunes Iraniens déterminés face à la gérontocratie des mollahs ? Après « Afghanes », ce nouveau film de Solène Chalvon-Fioriti —  qui utilise pour la première fois la technique de l'IA pour protéger l'identité des témoins — recueille la parole d’une génération en pleine mutation. Un documentaire suivi d’un débat, puis de « La torture blanche » de Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix. À voir le dimanche 21 avril à partir de 21.05 sur France 5 et sur france.tv.

L’Iran est mon pays, mais c’est lui qui doit changer, pas moi.

Sarah, 22 ans

Pendant un an, Sarah, nom d'emprunt d'une jeune étudiante iranienne de 22 ans, a transmis à la réalisatrice Solène Chalvon-Fioriti des notes vocales et des vidéos. Une façon de contourner l'interdiction faite aux caméras étrangères de tourner dans le pays. Pour la protéger, son visage, comme celui des autres intervenants de ce film, est « anonymisé » au moyen de l'intelligence artificielle tout en conservant ses expressions : une première pour un documentaire français. 

Son nom a fait le tour du monde : Jina Mahsa Amini, 22 ans, meurt le 16 septembre 2022 à la suite d’une arrestation violente par la police religieuse de Téhéran. Son visage gracile et maquillé, symbole des libertés brimées, provoque l’étincelle Femme Vie Liberté… une révolte massive, portée par la jeunesse – principalement des étudiants issus de la petite classe moyenne, réprimée dans la violence à l’automne 2022.

Face aux arrestations, aux tortures et exécutions du régime islamique, le mouvement s’est essoufflé. Mais derrière l’élan brisé se niche une autre révolution, silencieuse : la mutation culturelle irrépressible de la génération Z d’Iran. Une jeunesse massive, très urbaine (près de 80 % de la population habite en ville), très instruite – et une jeunesse en souffrance, privée des libertés individuelles fondamentales : s'aimer, se rencontrer, s'habiller sans contrainte, danser, chanter.

T’as tellement la rage contre le régime que tu rêves de leur casser la gueule !

Sarah

À travers six récits portés par des témoins de moins 25 ans – quel que soit leur camp : moderne, religieux, opposant politique ou pro-régime – ce film traverse de manière inédite la société iranienne d'aujourd'hui. Un pays biberonné à Internet et aux réseaux sociaux, où un Iranien sur dix a moins de 35 ans. Un peuple dont le niveau académique est le plus élevé du Moyen-Orient, mais où un jeune sur quatre est au chômage. Face à l'usure du régime des mollahs, les six récits, six différents visages de la jeunesse iranienne, offrent un éclairage exceptionnel sur les transformations en cours au sein de la république islamique d'Iran.
Contre la culture de la tristesse et du martyre imposée par les mollahs, contre l’instrumentalisation de la cause palestinienne, Sarah, la principale narratrice, met en lumière ce que les sociologues appellent « l’envie de joie de vivre » des jeunes Iraniens. Une génération politisée, moderne, connectée, écolo et féministe… à l’instar de la jeunesse mondiale.

Au moyen de l’intelligence artificielle, le film révèle ces bouleversements. Dans la sphère intime et dans l'espace public, chez les religieux comme chez les laïques.

Extraits 

« Beaucoup d’entre nous ne sont pas tranquilles, ils ont juste l’air tranquilles. Même si on est à la fac, une part de nous reste accrochée à la révolte qui continue. » Sarah, 22 ans

« En ce moment, les nouvelles sont terrifiantes : beaucoup de mes amis ont été embarqués, on n’a plus aucun contact avec eux. » Sarah

« Ils peuvent détruire notre force, mais ils ne peuvent pas détruire qui nous sommes vraiment. » Sarah

« Le gouvernement a peur parce qu’il a compris qu’il perd du terrain. Il sent le fossé entre lui et son peuple. Il sait qu’il est en danger. » Amin, informaticien, 29 ans

« Je soutiens à 100 % la République islamiste. Je ne saurais dire si ce soutien m’a été imposé dans l’enfance ou si c’est mon propre choix. Mais c’est comme ça en tout cas. » Anahita, 29 ans, cadre dans un ministère public et mère célibataire

« Plein de gens vont aux Bassidj juste par intérêt, pas pour la cause. » Karim, 24 ans, milicien

« Pour chacun des nôtres mis dans un cercueil, l’ennemi va payer, crois-moi ! » Awa, 23 ans, militante kurde exilée en Irak

À propos de l'utilisation de l'intelligence artificielle

Aujourd’hui encore, filmer en Iran peut envoyer en prison. À l’automne 2022, des milliers de cadreurs et de citoyens lambda, tout juste armés d’un smartphone, y passeront des mois. Dans les centres de détention, des logiciels de reconnaissance faciale, utilisés également pour traquer les femmes non voilées dans la rue, sont exploités pour « ficher » les visages contestataires et terroriser les prisonniers : en cas de récidive, de couverture d’événement anti-régime, le logiciel les reconnaîtra, et la peine encourue sera plus lourde encore. En parallèle, l’État iranien exclut les tournages de documentaires étrangers : à deux reprises, la réalisatrice Solène Chalvon-Fioriti se verra refuser sa demande de visa presse.
Mais être filmé en Iran vaut un traitement plus cruel encore. À la même période, des dizaines de familles iraniennes qui témoignaient d’un enfant assassiné ou disparu sont harcelées par le régime. Pendant des mois, ses agents procèdent à des séquestrations, à des rapts de cadavres et à des agressions lors des enterrements. Objectif : museler la parole, déshumaniser la souffrance, rendre invisible toute forme de parole contestataire, même celle émanant de son propre clan, lorsque celle-ci interroge, comme dans ce film, le niveau de répression.

Ainsi, filmer des visages aux destinées bouleversées par la déflagration Femme, Vie, Liberté n’était pas une option. Pas même des visages floutés : au moyen de ces mêmes logiciels de reconnaissance faciale, les « flous légers » se détectent de plus en plus facilement. Et flouter lourdement contrevenait au projet initial de la réalisatrice : rendre un visage, des expressions humaines, qui activent l’empathie pour l’autre. C’est ainsi qu’ont été décidés près de dix visages « anonymisés », après des mois de procédés techniques ultra-sécurisés.

Le recours à l’IA pour « envisager » nos témoins se fait néanmoins dans un contrat de visionnage clair avec le téléspectateur. Celui-ci est constamment averti des visages transformés par une signalétique rigoureuse. D'autre part, elle est utilisée exclusivement pour modifier un visage et rien d’autre. Elle ne change ni les expressions profondes de nos témoins et n’intervient jamais sur le cadre ou le décor. C’est dans cet esprit et dans ce cadre bien précis que nous avons travaillé, bien conscients des enjeux et des questions déontologiques que suppose cette démarche. Une première pour un documentaire français.

Solène Chalvon-Fioriti

Familière des zones de conflit, Solène Chalvon-Fioriti est réalisatrice de documentaires. La grand reporter a été correspondante en Afghanistan et au Pakistan pendant douze ans. Elle a travaillé pour Arte, France 24, France 2, Al Jazeera et M6 (25’, 52’, 70’), principalement sur la guerre et les bandes armées, et écrit pour Libération et des revues littéraires.

Son travail a été régulièrement finaliste du prix Albert-Londres, comme son documentaire Vivre en pays taliban coréalisé avec Margaux Benn (2021), son récit littéraire La femme qui s’est éveillée (2022), une enquête sur la contraception en Afghanistan, ou encore son documentaire Afghanes (2023), récemment lauréat aux Lauriers de l'Audiovisuel. À travers son travail, la journaliste et autrice propose une lecture féministe des conflits contemporains. Sa signature : des récits moins stéréotypés, très majoritairement portés par des femmes.

La torture blanche

La torture blanche
Narges Mohammadi, prix Nobel de la Paix
© Édition Baran

Narges Mohammadi, vice-présidente du Defenders of Human Rights Center en Iran, emprisonnée plusieurs fois depuis 2012, est détenue depuis novembre 2021 pour « atteinte à la sécurité nationale ». Sa condamnation à 8 ans de prison et 80 coups de fouet (allongée en août 2023 à 10 ans et 9 mois de prison et 154 coups de fouet) est une volonté délibérée des autorités gouvernementales de faire taire cette défenseuse des droits humains.
Ce documentaire de Narges Mohammadi est construit à partir d’entretiens avec seize anciens détenus, hommes et femmes, qui ont subi la « torture blanche » : quatre murs blancs, sans lumière naturelle et un isolement total. Une torture redoutablement efficace qui ne laisse pas de traces, poussant certains à avouer n’importe quel crime après quelques mois, quitte à être exécutés. Tous racontent la mécanique de destruction psychologique, l’humiliation, la torture et les traumatismes qui perdurent.

Le 6 octobre 2023, Narges Mohammadi a reçu le prix Nobel de la paix pour son combat contre l'oppression des femmes en Iran et sa lutte en faveur de la promotion des droits humains et de la liberté pour tous.

Le Monde en face : Nous, jeunesse(s) d'Iran

Le Monde en face : Nous, jeunesse(s) d'Iran
Sarah et Arezo (visages modifiés par l'intelligence artificielle)
© Elephant Doc/ Chrysalide Production

Documentaire (70 min – inédit – 2024) Réalisation Solène Chalvon-Fioriti — Production Chrysalide Production / Elephant Doc, avec la participation de France Télévisions

Les intervenants du débat animé par Mélanie Taravant
Solène Chalvon-Fioriti
, réalisatrice du documentaire ; Chirinne Ardakani, avocate et membre du Collectif Iran justice ; Farid Vahid, co-directeur de l’Observatoire Afrique du Nord et Moyen Orient de la Fondation Jean Jaurès ; Mariam Pirzadeh, journaliste France 24, ancienne correspondante de presse en Iran

La torture blanche (White Torture)

Documentaire (58 min - 2023) — Création Narges Mohammadi — Réalisation Narges Mohammadi,  Vahid Zarezadeh et Gelareh Kakavand — Production Édition Baran

Nous, jeunesse(s) d'Iran est diffusé dans Le Monde en face dimanche 21 avril à 21.05 sur France 5
La torture blanche est diffusé dimanche 21 avril à 22.55 sur France 5

À (re)voir sur france.tv